Page:Dablon - Le Verger, 1943.djvu/35

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sans tumulte ; ce sont des colères rentrées, entretenues avec persévérance. Est-ce que je me trompe ?

— C’est cela ! C’est cela !

— Louise, continuait Maurice, n’a pas changé. C’est une jeune fille heureuse.

— Elle n’a fait que s’enrichir, interrompit Estelle. Vous verrez comme Louise est charmante.

Jacques se tourna vers Louise ; elle inclinait la tête en balbutiant :

— C’est un conte de fées. Nous nous retrouvons après des ans et des ans. Combien, Jacques ?

La marée battait son plein. Quelques minutes encore la poussée du montant retiendrait à grand-peine les masses liquides, lasses d’un long effort ; la nappe d’eau étale brisait sur la grève le halètement argentin de ses dernières ondulations.

Louise dit à Jacques :

— Il ne faut pas croire Estelle, tu sais.

Elle regardait le jeune homme. Et comme tout à l’heure sous l’éclat et la chaleur de la flamme, les ombres s’animaient dans son visage. Jacques ne répondit pas, il ne détourna pas la tête ; il avait son suffisant. Il avait besoin du silence pour se protéger. Il avait besoin de la nuit pour dérober la joie qui l’envahissait, plus fraîche et plus puissante que le flot des grandes mers ; la joie recouvrirait tout, la joie culbuterait et emporterait comme des joncs les chagrins qui s’étaient accumulés en son âme depuis des mois. Le présent était encore plus beau que le souvenir dont il s’enrichissait.