Page:Dablon - Le Verger, 1943.djvu/63

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de joie. Les jaseurs étonnés de cette intrusion coupaient court au murmure de leur causerie sur les sorbiers, hérissaient la huppe, et fuyaient leur gentilhommière dans leur redingote brune que le soleil lustrait. Pas plus tard qu’hier, Jacques, de connivence avec le petit, a machiné et joué à Guy et à Paule, avec un raffinement diabolique, des tours qui ont ahuri le Verger. Et parfois, dans un moment de gratuité, ou parce qu’il ne peut confier son secret à personne, il éprouve des envies folles de pleurer, comme l’autan qui fouaille les persiennes à gros paquets de pluie. Maurice sourit ; Jacques n’y peut rien. Son cœur, comme le réveille-matin détraqué de l’oncle Paul, sonne à tout propos, hors de propos et sur tous les tons ; et il faut souvent lui mettre les deux mains dessus pour l’empêcher de tout rompre et d’ameuter les aîtres du Verger. Jacques qui pratique son île depuis longtemps s’aperçoit que son expérience est à refaire, à compléter du moins ; le moindre caillou porte des résonances multiples, innombrables. Et la cigale, qui vrille la chaleur et l’ennui des longues matinées sous les pins, trouve la fissure secrète de cette âme qui met chaque jour moins de soin à se défendre. Jacques souffre d’une complicité qui devance et déjoue l’attention. Les âmes sont-elles toutes aussi maladroites et aussi lentes à se révéler ?

De ces dernières aventures en pleine vie, Jacques se tait. C’est fortuit et fugace comme un rêve que l’on voudrait poursuivre dans un sommeil translucide ; l’éveil désengourdit les membres et on lui oppose une résistance que l’on sait inutile.