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LE VERGER

étrangers par une puissance aveugle attachée à ses pas.

Ado prit la tête de l’expédition. On tira la dernière barrière, que l’on assujettit d’un cerceau. Monsieur Legendre fermait la marche, sac au dos, une caissette sous chaque bras, incapable de se défendre contre le bourdonnement et la morsure des moustiques.

— Regardez où vous marchez, la compagnie ! lançait le guide.

Un bois-pourri qui traînait sa complainte dans les rapaillages se tut à leur approche et l’obscurité du sous-bois happa les voyageurs. Ado gravissait le premier raidillon du chemin d’hiver raviné par des pluies récentes. À tout instant le sol s’éboulait entre les racines tendues comme des collets, et une pierre dévalait la pente avec un bruit clair bientôt amorti par la terre détrempée. On voyait à peine ses pieds dans les ornières, on ne parlait pas ; Jacques entendait monter son chagrin comme à l’île, au début des vacances, quand il se condamnait à rejoindre pour la soirée le groupe de jeunes gens qu’il avait en horreur. À la demande de Monsieur Legendre, Ado s’arrêtait au haut des escarpements et l’on prenait quelques minutes pour souffler ; on humait la senteur capiteuse des fougères mêlée à des relents de pourriture végétale. Puis on repartait :

— Attention, une fondrière !

Et la caravane ondulait tandis que la voix du guide s’éteignait sous la ramure. Entre deux exclamations d’Ado et le froissement d’un rameau contre une épaule ou contre un sac, l’eau du ru tintait sur les cail-