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LE VERGER

Legendre est en outre le père de son ami, Maurice. Jacques n’en veut pas à Monsieur Legendre, encore que le personnage lui donne souvent sur les nerfs ; Monsieur Legendre est le type de l’avocat intelligent, adonné à la politique, qui refuse son intelligence, quand ce n’est pas son attention, aux problèmes que la profession ou le parti ne posent pas.

Ce n’est pas que Jacques soit gêné. Les Legendre sont des amis de la famille et ne passent pas dix jours sans se voiturer à l’Île d’Orléans ; ils sont une institution comme la fabrique, et comme le Verger, et comme la vieille Marie. Et d’ailleurs, la gêne est un état d’âme que l’on exorcise avec de la bonne volonté. C’est autre chose qui a poussé Jacques vers la porte de service, quand, par une fenêtre du solarium, il a vu la face poupine de Monsieur Legendre et l’air résigné de sa femme. Les Legendre représentent ce que Jacques abhorre ce soir ; alors, il est lâche et il fuit vers le silence. Il longe la chambre de l’oncle Paul, celle de ses sœurs, et pénètre dans la pièce qu’il partage avec le plus jeune de ses deux frères, André.

Jacques passa la main sous l’abat-jour et tourna le commutateur ; une lumière bleutée coula de la lampe de chevet sur la table et sur la taie d’oreiller. André reposait sur son bras tendu une gamine tête de dix ans, une houppe mal réprimée de cheveux bruns, une carnation rose que le soleil et la brise avaient bistrée, et la joie de ses paupières closes. Jacques contemplait la figure aimée de son frère et, dans le silence, il écoutait.

C’était un apaisement de retrouver, jointe à la rumeur de la campagne endormie, la régularité de