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LE VERGER

— Il faudrait sortir de là, nous transplanter dans un cadre neuf pour forcer dans leur dernière retraite tout ce que nous avons de facultés adaptives. Crois-tu qu’un missionnaire ne s’oblige pas à découvrir un autre aspect du monde et de lui-même ? Perdu dans la brousse…

— La brousse, c’est la fuite. C’est ce que je reprocherais à Pierre, d’avoir fui. Il s’apercevra vite que le lieu n’y fait pas grand-chose et qu’on est souvent plus exposé à l’accoutumance dans le cloître que dans le monde.

Il regardait la pagaie s’enfoncer dans l’eau grise.

— L’abbé Génin a une façon plaisante de nous enseigner cette vérité ; ce n’est plus une jeunesse, l’abbé Génin, mais il aime les mots qui ont du corps. Il regarde le plafond, par-dessus ses lunettes, et dit sur un petit ton académique : « Contrairement aux données de la biologie, tous les milieux sont favorables à la floculation des gens satisfaits. » Je n’ose blâmer Pierre parce que je ne me sens pas le courage de me tirer les membres un à un de ma glu. Du moins je sais que la glu me tient. N’est-ce pas quelque chose ?

Et il ajouta entre haut et bas : Jacques, mon ami, qui de nous le premier forcera les murailles de Jéricho ?…

Ils pagayaient en silence. Des vaguelettes mécontentes souffletaient la toile carmin de la proue. Au chalet, pas une lumière. Une forme se dégagea de la véranda et descendit vers l’appontement ; les cheveux défaits, drapée dans un kimono imprimé, Madame Legendre dit à Maurice :