Page:Dablon - Le Verger, 1943.djvu/89

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ments tièdes, le dégoût quand, sur les rives du marécage, il avait enfoncé jusqu’à la cheville dans une boue noire, puante, et senti sur la peau de son pied le contact de ce jus empoisonné. La voix et les mots de Noël conféraient aux choses un sens et une chaleur particulières. Maurice, accoudé à la balustrade de rondins croisés, soupesait, sans qu’il y parût, le poids des paroles échangées entre sa sœur et son ami.

Madame Legendre songeait : Pourquoi Monsieur Legendre et Maurice avaient-ils insisté pour que l’on invitât Noël Angers ? Ils étaient entrés dans le jeu de Mimi. Madame Legendre redoutait ce garçon outré, découplé, dont la tête s’articulait sur de gros muscles rétifs ; le cœur, à la moindre secousse, poussait des bouillons de sang vermeil et copieux.

Un incident allait bientôt la rassurer.

Le soir, la bruine cessa. Les bancs de brume se déchirèrent comme une bâche et les aiguilles de pin rosirent au pied des troncs délavés. Un monde de roche, de forêt et de montagne émergeait avec peine de l’humidité stagnante ; on eût dit que l’univers se recréait dans les fumerolles de volcans apaisés par les eaux. Au souper, on agita le projet de la Cascatelle. Monsieur Legendre, les doigts dans les baisures odorantes d’un pain de ménage qu’il tranchait avec volupté, demanda tout-à-coup :

— Noël Angers, avez-vous déjà mangé une tarte à la frangipane ?

— Oui, je crois, une fois, dans un restaurant…

— Non, mon cher, non, vous n’avez jamais mangé une tarte à la frangipane. Vous goûterez ce soir pour la première fois à ce mets des rois.