Page:Dallet - Histoire de l'Église de Corée, volume 1.djvu/203

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De son côté, M. Féron écrivait en 1858 :

« J’habite la plus belle maison du village : c’est celle du catéchiste, un richard ; on estime qu’elle vaut bien vingt francs. Ne riez pas, il y en a de quinze sous. Ma chambre, de grandeur suffisante, vu l’ameublement, a pour porte une feuille de papier, pour fenêtre une feuille de papier ; deux autres feuilles de papier forment une grande porte à deux battants, qui communique avec la chambre voisine. Là demeure mon serviteur, et les deux chambres réunies forment l’église de la paroisse ; plus tard, peut-être y ajoutera-t-on un clocher. Pour le moment, il pleut chez moi comme dehors, et deux grands chaudrons ne suffisent pas à recevoir une eau rousse comme la saumure coréenne, qui filtre à travers le toit d’herbes de mon presbytère.

« Le prophète Élisée, chez la Sunamite, avait pour meubles un lit, une table, une chaise et un chandelier, total : quatre. Ce n’était pas du luxe. Pour moi, en cherchant bien, je pourrais peut-être aussi trouver quatre meubles ; voyons : un chandelier en bois, une malle, une pipe, une paire de souliers, total : quatre. De lit, point ; de chaises, point ; « attendu, disent les Coréens, que la terre n’est pas percée, et qu’il doit être très-fatigant de s’asseoir sur un siège, puisque, évidemment, ce n’est pas la position naturelle. » De table, point : je vous écris sur mes genoux, dans la position susdite : excusez si ce n’est pas le mieux du monde. Je ne suis pas encore devenu assez Coréen pour trouver que ce soit plus commode qu’un bureau. Quand il s’agit de manger, on apporte la table toute servie : c’est un petit guéridon d’un pied de haut, sur lequel sont rangées, dans un ordre aussi parfaitement réglé que celui de vos plus fins desserts, deux écuelles, avec trois ou cinq soucoupes. N’allez pas croire qu’on mettra jamais à gauche l’écuelle ou la soucoupe qui doit être à droite. Celui qui agirait de la sorte serait, par cela même, convaincu de n’être qu’un grossier personnage, et jamais Coréen ne se permettra pareille inconvenance.

« Mon ameublement étant tel, suis-je plus riche ou plus pauvre que le prophète ? C’est une question. Sa chambre était plus confortable que la mienne, mais il faut dire aussi que rien de tout cela ne lui appartenait ; au lieu que pour moi, s’il est vrai que le chandelier soit celui de la chapelle, et la malle celle que Mgr Berneux m’a prêtée, je ne puis nier que la pipe et les souliers ne soient miens : ces derniers ne me servent que pour la messe. J’en possédais, il est vrai, une autre paire ; mais ayant eu le malheur de les mettre pour sortir, ils ne peuvent plus