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Page:Dallet - Histoire de l'Église de Corée, volume 1.djvu/407

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lors aucun désir de vivre ne resta dans mon cœur, et je ne pensai plus qu’à donner ma vie pour Dieu pendant que l’occasion était belle. Je pris en moi-même cette résolution, et, méditant cette grande affaire, je m’efforçais de m’y bien préparer.

« Tout à coup, au moment où on y pensait le moins, de nombreux satellites entrent et je suis prise ; c’est pendant que je m’inquiétais sur le manque d’occasion, que tout arrive au gré de mes désirs ; grâces à Dieu pour ce bienfait ! J’étais contente et joyeuse, mais en même temps préoccupée et troublée. Les satellites me pressent, des cris de douleur à faire trembler ciel et terre se font entendre autour de moi ; il faut quitter pour toujours ma mère, ma belle-mère, mes frères et sœurs, mes amis, mes voisins, ma patrie ; et la nature n’étant pas entièrement éteinte en moi, je fais ces adieux au milieu du trouble, et les yeux baignés de larmes ; puis, me retournant, un seul désir me reste, celui d’une bonne mort.

« Je fus d’abord enfermée au lieu nommé Siou-kap-t’ieng ; puis, moins d’une heure après, transférée dans une autre prison, où je rencontrai ma belle-mère, ma tante et deux de mes beaux-frères. De part et d’autre on se regarde, c’étaient des larmes et pas une parole, peu à peu la nuit se fait. C’était le 15 de la neuvième lune, sous un ciel d’automne clair et serein. La lune était dans son plein et toute brillante, et sa clarté se réfléchissait contre la fenêtre ; on pouvait voir ce que chacun de nous pensait et sentait. Tantôt couchés, tantôt assis, ce que nous demandons en silence, ce que nous désirons, c’est la grâce du martyre. Bientôt nos cœurs débordent, chacun prend la parole, et tous les cinq, comme d’une seule voix, nous nous promettons d’être martyrs pour Dieu, nous formons une résolution solide comme le fer et la pierre. Cette confidence mutuelle ayant montré que nos désirs étaient les mêmes, notre affection devient plus entière, notre intimité plus complète, et naturellement tout regret et toute idée d’affliction s’oublient. Plus on avance, plus les bienfaits et les grâces de Dieu s’accumulent ; la joie spirituelle augmente dans nos âmes, nous devenons insouciants à toutes les affaires, aucune préoccupation ne semble rester.

« Et toutefois, mes pensées et affections se reportaient sans cesse sur Jean, mon mari, enfermé dans une autre prison de la même ville. Comment aurais-je pu l’oublier un instant ? Quand j’étais encore à la maison, je lui avais écrit : « Quel bonheur si nous pouvions mourir ensemble et le même jour ! » mais l’occasion n’étant pas sûre, je tardai quelque peu à lui envoyer ce