Aller au contenu

Page:Dallet - Histoire de l'Église de Corée, volume 1.djvu/410

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

m’approche davantage, je m’assieds devant lui et lui dis : « Vous qui recevez un payement du gouverneur, comment ne suivez-vous pas les ordres du roi ? » et mille autres choses, mais il ne fait pas même semblant de m’entendre et me fait jeter dehors par ses satellites. N’ayant plus aucune ressource, je me mets en route ; le long du chemin je redoublais mes instantes prières à Dieu, et nous avions fait à peine cent lys, que j’étais rappelée et arrêtée de nouveau. C’est là une faveur insigne, une grâce au-dessus de toutes les grâces. Comment pourrais-je jamais en avoir assez de reconnaissance ? Même après ma mort, veuillez encore remercier Dieu de ce bienfait[1].

« Nous avions passé par quatre villages, je pensais aux quatre quartiers que Jésus traversa pour aller au Calvaire, et je me disais : « Serait-ce une petite ressemblance que Dieu veut me donner avec ce divin Sauveur ? » Je revis les satellites avec une joie indicible, et comme si j’eusse rencontré mes propres parents.

« Au premier interrogatoire qui suivit, je déclarai vouloir mourir en honorant Dieu ; de suite on dépêcha vers le roi, et, la réponse arrivant, on me fit comparaître de nouveau devant le juge criminel ; ma sentence fut portée, je la signai. Le juge me fit donner la bastonnade sur les jambes, on me passa la cangue, et on me remit en prison. Mes chairs étaient tout écorchées, le sang en coulait ; à peine le temps d’un repas se fut-il écoulé, que je ne souffrais plus ; ce sont grâces sur grâces, toutes inespérées ; quatre ou cinq jours après, tout était guéri : qui l’eût pu penser ?

« Depuis ce supplice, une vingtaine de jours se sont écoulés, et je n’ai plus senti la moindre douleur. Les autres disent que je suis dans les souffrances ; l’expression est non-seulement inexacte, mais directement contraire à la vérité ; moi je dis que je suis dans la paix et le bien-être. Quel homme pourrait être, dans sa propre maison, aussi tranquille et aussi heureux que je suis ici ! Quand j’y réfléchis, j’en suis même troublée et dans la crainte ; serait-ce que Dieu ne veut pas de moi ? serait-ce que je ne pourrais supporter des tortures violentes ? J’en tremble et suis remplie de confusion. Depuis qu’on a dépêché au roi, plus de vingt jours se sont passés et pas de nouvelles ; bien plus, certains bruits rapportent qu’il y aurait chance de vie ; je n’ai d’espoir qu’en l’aide du Seigneur, qui, j’en suis sûre, ne voudra pas me rejeter entièrement. Que la réponse vienne donc bien vite, bien vite ; je n’espère que la mort. En attendant, assise et sans occupations pour me

  1. Les deux phrases suivantes manquent dans quelques exemplaires de cette lettre.