Page:Dallet - Histoire de l'Église de Corée, volume 1.djvu/411

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

distraire, c’est à peine si je puis tromper l’œil des gardiens, et saisir à la dérobée quelques instants pour vous faire mes adieux pour l’éternité, sur une feuille, de papier que vous recevrez comme la représentation de mon propre visage, et qui, j’espère, vous portera quelque consolation. Mais il y a tant de choses à dire, et devant le taire à la hâte, je parle à tort et à travers, et sans suite. Si vous me suivez par la pensée, lisez ces lignes comme si vous me voyiez présente et sous vos yeux.

« En nous quittant, nous nous étions donné rendez-vous à l’année suivante, et de cela voilà quatre ans entiers. Qui l’eût jamais pensé, même en songe ? Mais peut-on jamais rien dire à l’avance des choses de ce monde ? Une séparation de quatre ans nous a paru difficile, que sera-ce d’une séparation sans retour ici-bas ? et combien n’aurez-vous pas le cœur affligé, à l’occasion d’une petite sœur bonne à rien ? Toutefois, ma sœur aînée ayant le cœur grand comme la mer, et étant sage et prudente, ne saura-t-elle pas bien tout supporter ? Oui, vous saurez le faire avec calme, et je dépose toutes mes inquiétudes. Malgré cela, quand je songe à vous, chère sœur, je ne puis ne pas me préoccuper d’inutiles pensées. L’amour des proches est une chose si naturelle qu’on ne peut s’en dépouiller qu’avec la vie. « Pourtant, me dis-je, si j’avais un peu de ferveur, est-ce que je me fatiguerais d’inquiétudes inutiles ? » et je me reproche toutes ces pensées. Votre cœur souffrira beaucoup à mon sujet, sans doute ; mais enfin, si j’ai le bonheur d’être martyre, y a-t-il de quoi s’attrister ? Ne vous affligez donc pas, mais félicitez-vous.

« En pensant à la douleur et à l’affliction qui vont vous accabler, ma mère et mes sœurs, je vous adresse ces derniers vœux comme mon testament. De grâce, ne les rejetez pas. Quand vous apprendrez la nouvelle de ma mort, j’ose l’espérer dix mille fois, ne vous désolez pas trop. Moi, vile et misérable fille, moi, sœur stupide et sans aucuns bons sentiments, si je puis devenir l’enfant du grand Dieu, prendre part au bonheur des justes, devenir l’amie de tous les saints du ciel, jouir d’une félicité parfaite et participer au sacré banquet, quelle gloire ne sera-ce pas ? Voudrait-on l’obtenir de soi-même que ce serait chose impossible. Qu’une fille ou une sœur devienne seulement l’objet des bonnes grâces du prince, on s’en félicite à bon droit ; mais si une enfant devient l’objet de l’amour du grand Roi du ciel et de la terre, en quels termes ne devra-t-on pas s’en féliciter ? On se dispute pour obtenir la faveur du roi ; la recevoir sans l’avoir briguée, n’est-ce pas un bienfait plus grand encore ?