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décidé à tout pour son propre salut et celui des siens, il laissa passer l’orage sans se troubler.

Arrêté en 1801, il semble avoir eu d’abord quelques instants de faiblesse, mais bientôt sa foi reprit le dessus, sa résolution devint ferme et ne se démentit plus jusqu’au jour du supplice. Nous ne connaissons pas les détails de son procès. Il ne fut accusé ni de conspiration ni de révolte, mais condamné purement et simplement comme chrétien. Voici la lettre qu’il écrivit à sa mère la veille de sa mort.

« Moi, votre fils, je vous écris aujourd’hui pour la dernière fois. Quoique je sois le plus grand des pécheurs, le Seigneur, par un bienfait extraordinaire, daigne m’appeler à lui d’une manière toute spéciale. Je devrais être rempli de contrition et d’amour, je devrais essayer, par ma mort, de payer quelque peu cette faveur ; mais la masse des péchés de toute ma vie, atteignant jusqu’au ciel, mon cœur, semblable au bois et à la pierre, ne laisse pas encore couler de larmes pour cette grâce insigne. J’ai beau considérer l’infinie bonté de Dieu, comment pourrais-je n’être pas honteux, et ne pas craindre ses terribles punitions ? Toutefois, quand je réfléchis, je me dis : Mes péchés, il est vrai, sont sans bornes, mais la miséricorde de Dieu est aussi sans limites. Si de sa main clémente il veut bien m’attirer, devrais-je mourir dix mille fois, qu’ai-je à regretter et sur quoi peuvent porter mes inquiétudes ?

« Faible comme je suis, ne pouvant prendre une détermination courageuse, je me disais souvent : Si par une grâce spéciale de Dieu la mort me devenait inévitable, quel bonheur ce serait pour moi ! Et voilà qu’aujourd’hui Dieu me sert selon mes désirs ; n’est-ce pas le plus grand des bienfaits ? Tant que j’ai été dans ce monde, je crains de n’avoir pas su remplir mes devoirs de fils et de ne pas vous avoir témoigné toute la soumission que je devais ; c’est là le sujet de ma peine et de mes regrets. Ne vous séparez pas les uns des autres, et j’espère vous revoir sous peu pour toujours, dans le ciel. Je n’oublierai pas mon fils Koui-pir-i ; cher enfant, sois bien obéissant, reste avec tous les autres sans jamais t’éloigner d’eux, et quand il en sera temps, viens me retrouver. J’aurais bien des choses à dire, mais je ne puis le faire longuement. Surtout ne vous contristez pas trop, et après avoir conservé ici-bas le corps et l’âme en bon état, réunissons-nous pour toujours.

« Année sin-iou, le 25 de la douzième lune,

« Charles Ni. »