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instruction, de tout appui moral, se décourageaient, et finissaient souvent par abandonner une religion qui était pour eux la cause de tant de maux.

Le sort de ceux qui avaient été exilés par les tribunaux, ou qui avaient volontairement émigré dans les parties les plus sauvages des provinces éloignées, était plus triste encore. Nous ne pouvons mieux l’exposer qu’en donnant le récit que nous a laissé de ses épreuves Pierre Sin Tai-po, ce courageux chrétien qui fit inutilement tant d’efforts pour approcher du P. Tsiou et recevoir les sacrements[1], et qui, plus tard, obtint, comme nous le verrons, la couronne du martyre. On y trouvera, trait pour trait, le tableau des souffrances de milliers d’autres chrétiens, à cette même époque, et dans les mêmes circonstances.

« La persécution était enfin apaisée, il est vrai, mais nous étions isolés et nous avions perdu les livres de prières. Quel moyen de pratiquer ? J’apprends par hasard que les survivants de quelques familles de martyrs habitent dans le district de Niong-in, je fais tous mes efforts pour les découvrir, et enfin je les rencontre. Il n’y avait que des femmes déjà avancées en âge, et quelques jeunes gens à peine sortis de l’enfance ; en tout, trois maisons liées par la parenté. Ils étaient sans appui et sans ressources, osant à peine ouvrir la bouche avec les étrangers, et ne respirant plus de frayeur quand on commençait à parler de religion. Ils avaient bien quelques volumes de prières et l’explication des Évangiles, mais le tout caché avec le plus grand soin. Quand je demandai à les voir, on me coupa la parole, en agitant les mains en signe de silence ; je ne voulus point insister. Toutefois, ces pauvres femmes étaient dans une grande joie, en apprenant de leurs enfants la présence d’un chrétien, et les convenances ne leur permettant pas de me voir, elles voulaient à tout le moins converser avec moi[2]. Je leur parlai un peu des derniers événements, de l’état de la religion, et de notre position commune, dans laquelle nous ne pourrions ni servir Dieu ni sauver notre âme. Elles étaient vivement touchées ; quelques-unes même versaient des larmes, et témoignaient le désir que nous nous missions en rapports fréquents, pour nous soutenir les uns les autres.

« Je demeurais à quarante lys de là (quatre lieues), et depuis ce temps, tous les huit ou dix jours, nous nous fîmes des visites réci-

  1. Voir plus haut, p. 77 et 78.
  2. En pareil cas, pour satisfaire aux exigences de l’étiquette et conserver le décorum, on se place dans des chambres voisines, et on communique à travers une grille ou une toile, à peu près comme font les religieuses cloîtrées.