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Page:Dallet - Histoire de l'Église de Corée, volume 1.djvu/465

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proques. Bientôt notre affection mutuelle fut aussi vive et aussi sincère, que si nous eussions été des membres d’une même famille. Nous commençâmes à reprendre la lecture de nos livres, et à faire les exercices des dimanches et fêtes. Ces personnes avaient reçu les sacrements du prêtre, et quand j’entendis des détails sur lui et ses exhortations, il me semblait le voir lui-même. La joie et le bonheur se répandirent dans mon âme ; c’était comme si j’avais trouvé un trésor. J’aimais tous ces chrétiens comme des anges, mais, de part et d’autre, nous habitions parmi les païens, et de tous côtés leurs yeux étaient sans cesse ouverts sur nous. Je devais faire les quarante lys, de nuit et en secret, pour les éviter. Peu après les païens voisins voulurent savoir mon nom, puis le lieu où j’habitais, et avec qui j’étais en relation. Tout ceci nous déplaisait, et nous conçûmes le plan d’émigrer tous ensemble, et d’aller quelque part former un petit village séparé. Pour moi, je n’avais que mon fils et ma fille ; mais nos cinq familles réunies faisaient un nombre de plus de quarante personnes, et chacun n’ayant pour toute fortune que des dettes, la vente des maisons ne devait pas, les dettes une fois payées, fournir seulement le viatique nécessaire au voyage, car le lieu que j’avais en vue était dans le fond des montagnes de la province de Kang-ouen, où se trouvaient à peine des traces d’hommes. Néanmoins, que la chose dût réussir ou non, l’émigration fut décidée.

« Deux familles avaient leurs maisons entièrement vides, ignorant le matin ce qu’elles mangeraient le soir. Les trois autres vendirent leurs maisons avec le mobilier, et en retirèrent à peine cent nhiangs (environ deux cents francs), sur lesquels il fallait payer beaucoup de dettes. Quand on voulut fixer le jour du départ, chacun dans les cinq familles, prétendait partir le premier, et n’avait qu’une pensée : sortir de cet enfer pour aller chercher un paradis. On se disputait au point d’en venir à des paroles de mésintelligence et de discorde. Grand Dieu ! quelle peine j’eus pour leur faire entendre raison ! Pour moi, je confiai mon fils et ma fille à la charge de mon neveu, et on décida que le départ d’une des familles serait remis à quelque temps. Mais sans parler des enfants, il y avait cinq femmes qu’on ne pouvait absolument pas retarder, et qui, soit à raison de leur âge, soit parce qu’elles n’avaient jamais eu l’habitude de marcher, ne pouvaient aller à pied. J’achetai donc à grand’peine deux chevaux, puis encore un troisième, ce qui épuisa notre petit fonds, et n’ayant plus de ressources, j’allai trouver deux amis riches du village, qui voulurent bien faire préparer cinq litières, et prêter deux chevaux. Nous partîmes dans