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juge donna une liste de noms à un prétorien, et j’avais ordre, à mesure qu’il les prononçait, de déclarer si je connaissais ou non les individus désignés. Ne pouvant plus parler, je répondais par un signe de tête, et je fis une réponse négative pour tous, connus ou inconnus. Le juge ajouta : « Ne connais-tu pas non plus Ia-So ? » Je fis encore ce même signe négatif. Le soir était venu, on me délia, mais les cordes étant enfoncées dans les chairs, on ne pouvait les ôter, et je perdis connaissance pendant l’opération. On me remporta en prison, et, comme je ne pouvais rien manger, on me coucha, la tête appuyée sur ma cangue.

« Les cris affreux du tribunal me restaient toujours dans l’oreille, la souffrance m’empêchait de dormir, et revenu à moi, je pensai par hasard à ces paroles du juge : « Ne connais-tu pas non plus Ia-So ? » Alors seulement je réfléchis que les caractères chinois du saint nom de Jésus se prononçaient Ia-So en coréen[1]. Je me pris à trembler, à m’affliger, à déplorer ce qui était arrivé. J’en avais le cœur serré et pouvais à peine respirer. On vint encore me presser de prendre quelque nourriture, mais abattu, désespéré par la pensée que mon étourderie rendait désormais pour moi la mort infructueuse, je repoussai violemment ceux qui me présentaient le riz, et me décidai seulement, sur des sollicitations réitérées, à avaler quelques gorgées de vin. Puis j’essayai de me consoler. Je me disais :« Quoique le juge ait voulu désigner Jésus, je n’ai entendu que Ia-So. Dieu mêle pardonnera-t-il ? » Et je résolus de me rétracter clairement le lendemain ; mais ayant été conduit dès lors devant le mandarin civil, je ne pus faire cette rétractation, et le regret m’en reste imprégné jusque dans la moelle des os.

« Le lendemain, 5 de la cinquième lune, je fus traduit devant le mandarin civil. À la séance se trouvaient les mandarins de Mou-tsiou, de Ko-san et d’Ik-san. Ce dernier, accompagné d’un prétorien, vint se placer près de la balustrade et me dit : « Si vous voulez seulement régler votre conduite d’après les principes d’une saine morale, les livres de Confucius, de Meng-tse et des autres saints sont bien suffisants. Maintenant, contre la défense du roi, vous suivez une doctrine étrangère, et vous avez été saisi ; n’est-ce pas un crime digne de mort ? » Je vis de suite que je n’é-

  1. Les caractères chinois se prononcent Ie-sou en Chine, et les chrétiens de Corée ont, par tradition, conservé cette prononciation ; mais les païens, ne voyant que les caractères, lisent Ia-so, selon les règles de la prononciation coréenne. On conçoit qu’un pauvre patient n’ait pas fait cette réflexion, dans de telles circonstances.