Page:Dallet - Histoire de l'Église de Corée, volume 2.djvu/206

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grand juge lui dit : « Et bien ! quelle est ton opinion maintenant ? — Je regrette vivement, répondit-il, ma faiblesse passée. — Es-tu donc fou ? Quoi ! tu as apostasie, et tu veux redevenir chrétien ? — J’ai beau réfléchir : cette doctrine est véritable, et, dussé-je mourir, je ne puis pas l’abandonner. » Néanmoins, il paraissait peu affermi, et il ne prit vraiment son parti qu’après une longue conversation qu’il eut, dans la prison, avec Charles T’soi. On lui fit subir de violentes tortures, et son corps fut mis dans un état affreux. Il lui fallut plus de courage encore pour tenir bon contre les tracasseries des satellites, qui venaient souvent l’importuner, et cherchaient à le pousser au désespoir en l’assurant que c’était folie de sa part de vouloir encore se dire chrétien, après avoir renié sa foi. En douze séances, il reçut deux cent quatre-vingt-dix coups de la planche à voleurs, sans parler des autres supplices : mais la grâce le soutenait, et il mérita d’être étranglé dans la prison, le 25 de la neuvième lune, à l’âge de trente-trois ans.

Il eut, ce même jour, pour compagnon de supplice Pierre Niou Tai-t’siel-i, fils aîné d’Augustin Niou. Cette famille d’Augustin présentait alors un spectacle bien étrange. La foi, la ferveur, le dévouement de ses deux fils étaient connus de tous, chrétiens et païens ; ces jeunes gens suivaient fidèlement les exemples de leur père. Rien, au contraire, ne put déterminer sa femme et sa fille aînée à pratiquer la religion ; bien plus, elles ne cessaient de déclamer contre les chrétiens, et allaient jusqu’à tourmenter ceux de leur famille qui faisaient profession de la foi. Telle était la position où se trouvait Pierre. Fidèle à tous ses devoirs de piété, il était contrarié sans cesse par sa mère et par sa sœur, et subissait fréquemment des persécutions domestiques intolérables. « Pourquoi, disaient-elles, n’écoutes-tu pas tes parents et t’obstines-tu à faire ce qu’ils te défendent ? » Pierre n’avait pour réponse que de respectueuses paroles et, tout en déplorant devant Dieu l’aveuglement de sa mère, continuait à lui prodiguer les témoignages d’une affection toute filiale. Quand la persécution éclata, il sentit naître dans son âme un vif désir du martyre. Les grands exemples de fermeté que donnaient les confesseurs de la foi enflammaient son cœur, et, poussé par l’enthousiasme de l’amour divin, il alla de lui-même se livrer entre les mains des mandarins. On employa mille moyens pour obtenir son apostasie. Aux menaces furent jointes les tortures, mais son corps tout déchiré et la vue de son sang coulant de toutes parts n’ébranlèrent pas ce généreux enfant. Les geôliers lui firent souvent, à la prison, subir d’autres supplices.