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plupart déserteurs de la maison paternelle et vivant de rapine. C’est pendant l’hiver seulement qu’ils sont là ; le beau temps revenu, ils quittent leurs cabanes, et s’en vont braconner dans les bois, ou chercher le jen-seng, cette racine précieuse qui se vend en Chine le double de son poids d’or.

« L’intérieur de ces taudis est encore plus sale que le dehors n’est misérable. Au milieu, montée sur trois pierres, repose une grande marmite, seule vaisselle de ces restaurants. On met le feu par-dessus ; la fumée s’échappe par où elle peut. Je vous laisse à juger de la suie qui s’attache aux parois. Des fusils et des couteaux de chasse, enfumés comme le reste, sont appendus aux troncs qui forment les murailles ; le sol est couvert d’écorces d’arbres : c’est sur ce duvet que le voyageur doit reposer ses membres fatigués et réparer ses forces. Nous nous trouvions quelquefois plus de cent étendus là pêle-mêle, presque les uns sur les autres. La fumée m’étouffait, j’en étais asphyxié, je devais sortir de temps en temps pour respirer l’air extérieur et reprendre haleine ; le matin, j’expectorais la suie avalée pendant la nuit.

« Les Kouang-koun-tze n’offrent à leurs hôtes que de l’eau et un abri. C’est donc une nécessité pour ceux-ci de faire leurs provisions, avant de pénétrer dans la forêt. Là, la monnaie de cuivre n’a pas cours : l’argent y est presque inconnu ; les maîtres d’auberge reçoivent, en échange de l’hospitalité qu’ils donnent, du riz, du millet, de petits pains cuits à la vapeur ou sous la cendre, de la viande, du vin de maïs, etc. Quant aux bêtes de somme, elles sont logées à la belle étoile, et il faut faire sentinelle pour les soustraire à la voracité des loups et des tigres, dont l’approche nous était signalée par les chevaux qui hennissaient, ou qui soufflaient avec force de leurs naseaux dilatés par la peur. On s’armait alors de torches, on frappait du tam-tam, on criait, on hurlait, et on mettait l’ennemi en fuite.

« Ces forêts m’ont paru très-anciennes ; les arbres sont énormes et d’une hauteur prodigieuse. Ce n’est que sur la lisière que la hache les abat ; à l’intérieur, la vieillesse seule les renverse. Des nuées d’oiseaux habitent dans leurs branches ; il y en a d’une grandeur démesurée, qui enlèvent de jeunes cerfs ; leurs noms me sont inconnus. Les faisans surtout abondent : on ne saurait se faire une idée de leur multitude, quoique les aigles et les vautours leur fassent une guerre cruelle. Un jour, nous vîmes un de ces oiseaux rapaces fondre sur un malheureux faisan ; nous effrayâmes le ravisseur, qui s’envola n’emportant que la tête de sa proie ; le reste nous servit de régal.