Page:Dallet - Histoire de l'Église de Corée, volume 2.djvu/280

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« Quand nous ne fûmes plus qu’à une journée de Houng-tchoung, nous laissâmes en arrière nos lourds chariots, et prenant les devants, nous arrivâmes enfin, un mois après avoir quitté Votre Grandeur, au terme de notre voyage. Houng-tchoung, situé à peu de distance de la mer, à l’embouchure du Mi-kiang, qui sépare la Corée de la Mandchourie, est un petit village d’une centaine de familles tartares. Après Foung Pien-men, dans le midi, c’est le seul lieu de contact entre la Chine et la Corée. Un mandarin de deuxième classe, et Mandchou d’origine, y maintient la police, aidé de deux ou trois cents soldats sous ses ordres. Une foule de Chinois s’y rendent de fort loin pour trafiquer. Ils livrent aux Coréens des chiens, des chats, des pipes, des cuirs, des cornes de cerf, du cuivre, des chevaux, des mulets, des ânes ; en retour ils reçoivent des paniers, des ustensiles de cuisine, du riz, du blé, des porcs, du papier, des nattes, des bœufs, des pelleteries et de petits chevaux, estimés pour leur vitesse. Ce commerce n’a lieu pour le peuple qu’une fois tous les deux ans, et ne dure qu’une demi-journée ; l’échange des marchandises se fait à Kieu-wen, ville la plus voisine de la Corée, à quatre lieues de Houng-tchoung. Si, à l’approche de la nuit, les Chinois n’ont pas regagné la frontière, les soldats coréens les poursuivent l’épée dans les reins.

« Il y a un peu plus de liberté pour quelques mandarins de Moukden, de Ghirin, de Ningoustra et de Houng-tchoung : ils peuvent trafiquer toutes les années ; on leur accorde cinq jours pour expédier leurs affaires ; mais ils sont gardés à vue et doivent passer la nuit en dehors de la Corée. Chacun d’eux a sous lui cinq officiers, et chacun de ceux-ci cinq marchands principaux, ce qui fait une petite caravane. Avant de s’enfoncer dans la forêt, ils dressent une tente sur le sommet d’une montagne, et immolent des porcs aux dieux des bois ; tous doivent prendre leur part de la victime. Ces quelques heures de commerce par an sont les seules relations qu’aient entre eux les deux peuples. En tout autre temps, quiconque passe la frontière est fait esclave ou impitoyablement massacré.

« Il existe une grande haine entre les deux nations, surtout depuis l’époque, encore récente, où des Chinois entrèrent dans la péninsule et enlevèrent des enfants et des femmes. J’ai vu, dans une auberge, un de ces Coréens ravi jeune encore à ses parents ; il peut avoir une vingtaine d’années. Je lui demandai s’il ne désirait pas retourner dans sa famille. « Je m’en garderai bien, » me dit-il, « on me prendrait pour Chinois et on me couperait la