Page:Dallet - Histoire de l'Église de Corée, volume 2.djvu/51

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À ces mots terribles, mes gens consternés donnent le signal de détresse et prennent la fuite. Je les suivis, ignorant quelle était la cause de cette terreur subite. Cet accident nous valut un surcroît de marche et de fatigue, pour mettre entre nous et nos accusateurs un espace considérable ; nous avions cependant marché pendant quarante heures sans interruption. Le bon Dieu ne permit pas que les païens qui étaient à notre suite s’aperçussent de rien ; du moins ils n’eurent point l’air de s’en apercevoir. Cette dernière reconnaissance mit le comble à mes maux. Mes conducteurs ne savaient plus que faire de moi ; et toutes les mesures qu’ils prenaient pour diminuer le danger n’étaient, dans le fond, qu’un surcroît de vexations.

« Le 10, nous nous égarâmes ; il y eut un malentendu dès le commencement de la journée ; les uns prirent une route, les autres une autre ; je me trouvai seul au milieu de la campagne, fort embarrassé de ma personne. Heureusement je fus joint par un de mes courriers, qui n’était guère plus à son aise ; il craignait, à chaque moment, d’être attaqué d’apoplexie. Il mourait de faim, et moi de soif : il y avait près de vingt-quatre heures que nous n’avions ni bu ni mangé. Nous nous amusions à sucer les tiges d’une espèce de millet que les Chinois appellent kiang-liang. À quatre heures du soir, nous rencontrâmes un laboureur qui nous donna de l’eau et un bouillon à l’ail. « Allons, courage ! dis-je à mon compagnon ; si nous avons faim, du moins nous n’avons plus soif. « Nous avions pris nos arrangements pour trouver à souper : il avait sur lui un petit manteau, nous convînmes que nous le vendrions pour avoir de quoi manger ; nous abandonnâmes le soin du lendemain à la Providence, mais nous ne fûmes pas réduits à une telle extrémité. Les habitants d’un hameau voisin nous donnèrent des nouvelles de mes courriers. Nous étions harassés de fatigue ; nous louâmes sans argent un tombereau, auquel on attela un cheval et un bœuf. On nous traîna ainsi jusqu’à l’endroit où nous supposions que se trouvaient nos compagnons : nous promîmes au conducteur de le payer au terme de notre course. Nous entrâmes ainsi dans une petite ville, où nous rencontrâmes nos gens. Personne ne fut étonné de notre équipage : il n’est pas rare en Chine de voir un cheval, un âne, un bœuf et une mule attelés tous ensemble à un même char. Nous déjeunâmes à la hâte (le soleil allait se coucher) ; je croyais que nous allions nous reposer, mais mon premier guide ne fut pas de cet avis : il fallut se remettre en marche. Après une heure de chemin, nous nous égarâmes