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encore ; enfin nous nous trouvâmes tous réunis, à onze heures du soir, dans la même auberge. Alors on m’apporta à manger ; je demandai à boire : « À cette heure, me dit-on, il n’y a point de thé. — Eh bien ! je ne mange pas. » Je savais par expérience qu’un potage pareil à celui qu’on me servait ne faisait qu’irriter ma soif sans me nourrir, et je me couchai sans souper : ce n’était point la première fois, et ce ne fut pas la dernière. Cette journée me fatigua beaucoup, mon mal ne fit qu’empirer depuis.

« Le 13, nous traversâmes le fleuve Jaune. La barque ou espèce de bac dans laquelle nous passâmes était tellement pleine de monde, que personne ne pouvait s’asseoir, et qu’on avait bien de la peine à se tenir debout. Je me trouvai placé devant un Chinois qui voulait absolument savoir qui j’étais, mais je ne voulus pas le lui dire ; il s’accroupissait comme il pouvait pour me regarder tout à son aise, il était comme en extase devant moi : par bonheur, le timonier qui gouvernait la barque sauta sur mes épaules et sur celles de mes voisins ; ce brusque mouvement, qui dura autant que le trajet, fit cesser cette espèce d’enchantement. Quand nous fûmes près de terre, nous trouvâmes le rivage couvert de barques ; il n’y avait de libre qu’un petit espace, il fallait gouverner bien juste pour aborder heureusement. Le courant, qui était très-fort, nous portait contre l’éperon d’une somme chinoise qui était à l’ancre. Nous courions risque d’être brisés et de périr ; à force cependant de se héler, de crier : « Gouverne à droite, vire à gauche, » nous ne fîmes que frôler notre ennemie ; et puis, d’un seul saut, nous nous trouvâmes à terre, dans la province de Chang-tong.

« Le 17, après avoir marché toute la matinée dans l’eau et dans la boue, comme de coutume, nous rencontrâmes une rivière qui n’était pas guéable ; il fallut s’embarquer. Mes gens dînèrent, et moi je dus jeûner, parce qu’il n’y avait rien de sain dans le bazar : c’est du moins l’excuse qu’ils me donnèrent lorsque je leur demandai à manger. Quand nous fûmes dans la rivière, j’éprouvai un redoublement de fièvre beaucoup plus considérable qu’à l’ordinaire ; j’étais dévoré d’une soif ardente ; mes lèvres étaient tellement collées l’une à l’autre, que j’étais obligé de porter ma main à la bouche pour les desserrer. Je demandai à boire, personne ne put ou ne voulut me rendre ce service ; nous étions cependant au milieu d’un fleuve. Je m’aperçus, en coulant ma main par-dessous la planche sur laquelle j’étais couché, que l’eau filtrait dans la cale ; je fus ravi d’avoir fait une telle décou-