Page:Daly - Architecture funéraire contemporaine - 1871.pdf/12

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

être un ardent croyant. La réciproque peut aussi être vraie. Comment déterminer alors si le tombeau sera ou non essentiellement un monument religieux ? Le sceptique écartera-t-il la croix de la dernière demeure du croyant ? Le croyant l’imposera-t-il au tombeau du sceptique ?

La plupart des architectes échappent d’habitude à l’obligation de répondre à cette question, en acceptant comme bien fondée la décision de celui qui paye le monument. Il y a dans cette solution une part de raison pratique incontestable, mais elle n’est pas précisément de nature à satisfaire les âmes sérieuses.

Si chaque tombeau est comme une parole d’adieu adressée par les survivants au mort, c’est aussi et à un titre plus élevé peut-être, le monument commémoratif du mort, et l’on peut affirmer, à ce dernier point de vue, que le tombeau est l’œuvre architecturale la plus individuelle qui existe. Envisagé ainsi, on peut même trouver au tombeau quelque analogie avec la statue personnelle en sculpture, ou avec le portrait en peinture, car le monument funéraire est bien l’expression architecturale de ce que fut tel homme ; c’est, en quelque sorte, le tableau, plus ou moins symbolique et plus ou moins idéalisé, de son caractère et de ses actes, de sa pensée et de sa foi. Aussi, les amis et les parents qui lui survivent ne devraient-ils pas perdre de vue ce fait capital ; ils devraient se garder de trop usurper sur les droits sacrés du mort et craindre d’effacer peut-être ou de voiler son image sous la leur, en se livrant à une effusion excessive et pour ainsi dire trop bruyante de leurs sentiments personnels. Mais la difficulté qui résulte d’une préoccupation trop personnelle de la part des survivants, n’est que la moindre de celles que nous avons devant nous ; il en est qui sortent de dissidences générales et profondes, et qui sont autrement graves, car elles naissent de chacune des trois racines mêmes de l’architecture funéraire ; ce sont celles-là que nous allons préciser.

XII.

La mort répond à une idée générale, et son expression, dans un monument funéraire, ne peut donner lieu à aucune dissidence. C’est seulement sur l’importance relative qu’il convient d’accorder à cette expression qu’on peut discuter : pour le croyant, mourir, c’est aussi renaître. — Question religieuse !

La glorification du mort ne sera pas contestée non plus, dans son principe, par ceux qui se sont réunis expressément pour honorer sa mémoire. Mais ici encore un débat peut être provoqué à propos de l’importance relative de cette glorification : l’humilité est une vertu chrétienne. — Encore la question religieuse !

L’invocation aux puissances célestes est forcément, pour le croyant, l’idée fondamentale de tout monument funéraire. Pour lui, tout est là. Pour le sceptique, pour celui qui repousse toutes les formes du surnaturel, cette invocation est, au contraire, ou folie ou mensonge. — Toujours la question religieuse !

XIII.

Au moyen âge — époque religieuse, évolutive, — en présence d’une foi commune, l’accord sur ces matières était facile. Aujourd’hui — époque de transition —, cet accord est souvent bien difficile. La religion a toujours été la synthèse de l’état des connaissances et de la sensibilité (morale et physique) de la société qui l’a embrassée, et l’architecture a été de tout temps, par son style, le plus complet symbole scientifique, moral et matériel de la société qui l’a cultivée.

Aussi, parmi les arts d’expression, l’architecture est-elle l’analogue de la religion parmi les forces sociales. L’architecture, aux époques évolutives, aux grandes époques de l’unité sociale, est la synthèse plastique, le grand Art de la Forme, c’est-à-dire de la ligne et de la couleur ; elle est le symbole religieux par excellence. Historiquement, en effet, toutes les fois que dans le monde une synthèse religieuse a été ébranlée, un style d’architecture s’est écroulé. Ne nous étonnons donc pas que tous les troubles de l’architecture funéraire de nos jours soient nés des contestations de la Foi ; mais comprenons, au contraire, que de la reconstitution seule d’une synthèse sociale (scientifique, morale et matérielle), dépend la reconstitution d’un goût collectif et de l’unité esthétique, et l’éclosion, par conséquent, d’un style nouveau d’architecture.

César DALY.