Page:Dante - L’Enfer, t. 1, trad. Rivarol, 1867.djvu/169

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sence désirée ; vos traits défigurés par la douleur, ce front, ce regard paternel vivent encore dans mon cœur déchiré ; je reconnais cette voix qui, dans une vie passagère, m’appelait à l’immortalité : aussi le monde entendra vos bienfaits, tandis que le trépas ne glacera point ma langue. Vos présages ont pénétré mon âme : je les rappellerai à mon souvenir, s’il m’est permis un jour d’entendre les oracles de celle qui voit la vérité [7]. Ce n’est pas pour la première fois que l’annonce du malheur frappe mon oreille : mais que la fortune bouleverse à son gré ma courte vie, je vous jure que mon coeur pourra braver ses coups, tant qu’il aura la paix de la vertu.

À ces mots, le sage de Mantoue me regarde, en me disant :

— L’oreille a bien entendu, quand le cœur a senti.

Cependant j’avançais, et je priais Latini de me nommer les plus illustres de ceux qui partageaient ses peines :

— Il est bon, me disait-il, que tu connaisses quelques-uns d’entre eux ; mais il vaut mieux se taire sur les autres, car leur nombre est grand et les moments sont courts. Apprends en peu de mots que tous ces esprits ont brillé dans les lettres et la doctrine, mais qu’un même vice a souillé leur vie et leur gloire. J’ai vu dans cette foule malheureuse Priscian et François d’Accursi [8] ; et j’aurais pu voir, si