Page:Dante - L’Enfer, t. 2, trad. Rivarol, 1867.djvu/104

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Lorsque autrefois, dans sa grande mortalité, l’île d’Égine vit tomber depuis l’homme jusqu’à l’insecte, et que d’une fourmilière il sortit, suivant les poëtes, de nouveaux citoyens pour la repeupler [4], sans doute il ne fut pas plus triste d’y voir chaque jour la foule des mourants, qu’il ne l’était ici de contempler les ombres malades languissamment éparses dans toute la vallée et sous diverses attitudes : celle-ci couchée sur son ventre et immobile, celle-là haletante sur les flancs de sa compagne, et telle autre qui se traînait en rampant.

Nous marchions cependant pas à pas et en silence dans ces gorges obscures, écoutant et remarquant ces spectres moribonds qui ne pouvaient se soutenir ; et j’en vis deux assis, adossés l’un à l’autre, tous deux encroûtés d’une lèpre immonde. Jamais l’écuyer que l’œil du maître ou le sommeil sollicite ne promena d’une main plus agile son étrille légère, que ne faisaient les deux coupables, ramenant sans cesse leurs ongles de la tête aux pieds, et se défigurant de coups et de morsures, pour apaiser l’effroyable prurit qui les dévorait ; et comme le poisson se dépouille sous le tranchant du couteau, ainsi leur peau tombait en écailles sous l’effort de leurs infatigables doigts.

Mon guide s’adressant au premier :

— Malheureux, lui dit-il, dont le supplice