Page:Dante - L’Enfer, t. 2, trad. Rivarol, 1867.djvu/141

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les îles de Gorgone et de Caprée, s’arrachant de leurs fondements, venir s’asseoir aux bouches de ton fleuve, afin que, regorgeant jusqu’à toi, il noie tes enfants dans tes places publiques ! Car fût-il vrai que le comte Ugolin eût livré tes forteresses, tu ne devais pas du moins attacher à la même croix le père et les enfants : c’est leur enfance, nouvelle Thèbes, qui fait leur innocence [3] !

Cependant nous étions déjà passés vers des lieux où les ombres sont encore plus étroitement enchaînées dans les glaçons : elles s’y trouvent, non la face baissée, mais le visage renversé ; si bien que leurs pleurs sans cesse amoncelés dans les cavités de l’œil, s’y durcissent en voûtes de cristal, et les larmes fermant ainsi le passage aux larmes, la douleur, qui ne peut s’exhaler, se retire toujours, et retombe avec plus d’amertume au fond du cœur [4].

J’avançais, et, bien qu’engourdi par la rigueur du froid, je crus sentir je ne sais quel vent effleurer mon visage.

— Quel est, dis-je à mon guide, le souffle que je sens ? Tout mouvement n’est-il pas éteint dans cette morte atmosphère ?

— Bientôt, reprit-il, tu connaîtras par tes yeux la nature et les causes de ce que tu cherches.

Il achevait à peine, qu’une des têtes fixées sur la dure surface nous cria :