Page:Dante - L’Enfer, t. 2, trad. Rivarol, 1867.djvu/7

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J’y découvris des ombres nues, qui gardaient en deux files égales un ordre toujours contraire : les unes venaient vers nous, et les autres nous devançaient précipitamment. Telle est, aux saintes heures du jubilé, la marche solennelle des Romains : on voit sur un pont la foule religieuse qui se partage en deux colonnes, dont l’une s’avance vers le temple, et l’autre revient et s’en éloigne sans cesse [2].

J’aperçus en même temps, sur l’un et l’autre bords de la vallée, des démons armés de griffes et de fouets noueux, qui se dressaient et se courbaient tour à tour, en frappant à outrance les âmes perverses. Cruellement déchirées, elles fuient d’une fuite éternelle, se dérobant et se retrouvant à jamais sous les coups de ces infatigables bras.

Tandis que je regardais, mes yeux s’arrêtèrent sur un des réprouvés, et je dis aussitôt :

— Celui-ci ne m’est point inconnu.

Pour l’envisager plus attentivement, je m’éloignai de mon guide, et je suivis l’ombre coupable, qui baissait la tête et voulait éviter mon coup d’œil ; mais je la reconnus et lui criai :

— O toi qui portes ainsi ton front vers la terre, tu fus jadis Caccianimico [3], si tes traits n’ont point trompé mes yeux : dis-moi quel crime t’a conduit dans cette lice de douleur ?