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L'ENFER




CHANT PREMIER


Au milieu du chemin de notre vie[1], ayant quitté le chemin droit, je me trouvai dans une forêt obscure[2]. Ah ! qu’il serait dur de dire combien cette forêt était sauvage, épaisse et âpre, la pensée seule en renouvelle la peur, elle était si amère, que guère plus ne l’est la mort ; mais pour parler du bien que j’y trouvai, je dirai les autres choses qui m’y apparurent[3].

Comment j’y entrai, je ne le saurais dire, tant j’étais plein de sommeil quand j’abandonnai la vraie voie, mais, arrivé au pied d’une colline, là où se terminait cette vallée qui de crainte m’avait serré le cœur, je levai mes regards, et je vis son sommet revêtu déjà des rayons de la planète qui guide fidèlement en tout sentier[4], alors la peur qui jus-

  1. Dante suppose avoir commencé ce voyage allégorique, où il eut cette vision, en 1300. Il avait alors trente-cinq ans, qui forment la moitié de la vie ordinaire des hommes, comme il le dit dans le Convito, d’après la commune opinion qui remonte à David : — « Dies hominis septuaginta anni, les jours de l’homme sont de soixante-dix, ans. » — Ps.
  2. Par cette « forêt obscure, » les uns entendent les erreurs, les passions, les vices, dont est remplie la vie humaine ; d’autres, les discordes et les maux dont les querelles des Guelfes et des Gibelins affligeaient alors l’Italie ; d’autres, enfin, les misères que Dante eut à souffrir pendant son exil.
  3. Avant de parler du secours que lui prêta Virgile, il faut qu’il raconte les dangers auxquels il se vit exposé.
  4. Le « soleil qui se lève sur la colline, » c’est, selon la même allégorie, la lumière qui dissipe les ténèbres des passions, et, en montrant le droit chemin, ranime à la fois le désir et l’espérance d’y marcher.