Page:Dante - La Divine Comédie, trad. Lamennais, 1910.djvu/139

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il fait le sien ; et vraiment, depuis trois mois, il a reçu en toute paix qui a voulu entrer [1]. Aussi, moi qui étais alors tourné vers la plage où l’eau du Tibre devient salée [2], bénignement de lui je fus accueilli à cette rive où se dirige son aile, et où pour cela toujours se rassemblent ceux qui vers l’Achéron ne descendent point. »

Et moi : — Si une loi nouvelle ne t’ôte point la mémoire ou l’usage de l’amoureux chant qui apaisait tous mes soucis, qu’il te plaise d’en consoler un peu mon âme, qui, venant ici avec le corps, est si affaissée.

« Amour qui discours en mon âme [3], » commença-t-il alors si suavement, que la douce mélodie encore en moi résonne.

Le Maître et moi, et la troupe qui l’accompagnait, étions si ravis, que chacun paraissait avoir toute autre pensée en oubli. Attentifs à ses chants et absorbés en eux nous allions, quand tout à coup le vieillard vénérable : « Qu’est-ce que cela, esprits lents ? Quelle négligence, quel tarder est-ce là ? Courez au mont pour vous dépouiller de l’écorce [4] qui empêche que de vous Dieu ne soit vu. »

Comme les colombes lorsque, cueillant le blé ou l’ivraie, et prenant ensemble leur pâture, tranquilles et sans montrer l’orgueil ordinaire, soudain laissent là la nourriture, si quelque chose apparaît qui les effraye, parce qu’un plus grand souci les assaille : ainsi vis-je cette troupe nouvelle laisser le chant, et aller vers la côte, comme un homme qui va, et ne sait où : et notre départ ne fut pas moins prompt.

  1. Par l’effet des prières adressées à Dieu pendant le Jubilé ouvert trois mois auparavant.
  2. « Où le Tibre se jette dans la mer. » Le Poète, disent les glossateurs, veut faire entendre que ceux-là seuls sont sauvés qui meurent dans le sein de l’Église romaine.
  3. C’est ainsi que commence une des plus belles canzoni de Dante.
  4. Les souillures du péché.