Page:Dante - La Divine Comédie, trad. Lamennais, 1910.djvu/192

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que j’explique : il était d’abord simple, et à présent il est devenu double, en rapprochant ce que tu m’assures ici de ce qu’on m’a dit ailleurs [1]. Il est bien vrai, le monde est aussi dépeuplé de vertus que tu me le représentes, et plein et regorgeant de malice. Mais, je te prie, indique-m’en la cause, de sorte que je la voie et la montre aux autres : l’un la place dans le ciel, et un autre ici-bas. » Un profond soupir, un hélas douloureux il poussa d’abord ; puis il commença : « Frère, le monde est aveugle, et bien voit-on que tu en viens. Vous qui vivez, vous cherchez la raison de tout au ciel, comme s’il emportait tout dans son mouvement par nécessité. S’il en était ainsi, en vous serait détruit le libre arbitre, et point ne serait-ce justice de recueillir pour le bien la joie, pour le mal les pleurs. Du ciel vos mouvements ont leur commencement, je ne dis pas tous ; mais supposé que je le dise, pour discerner le bien et le mal une lumière vous est donnée, et le libre vouloir. Qui ne se refuse point à la fatigue des premiers combats contre le ciel [2], résiste, puis vainc tout, s’il se nourrit bien [3]. À une force plus grande et à une nature meilleure, libres, vous êtes soumis [4], et celle-ci en vous crée l’esprit, que le ciel n’a pas sous sa dépendance. Si donc le monde présent dévie, en vous en est la cause, en vous doit-elle être cherchée ; et je vais te la découvrir. De la main de celui qui en elle se complaît avant qu’elle soit, comme un petit enfant qui rit et pleure, et ne sait pourquoi, simplette sort l’âme, qui ne sait rien, sinon que, mue par qui l’a créée pour la joie, volontiers elle se tourne vers ce qui l’amuse. D’un léger bien d’abord elle sent la saveur, et, se trompant, elle court après, si un guide ou un frein n’infléchit son amour. D’où il convient qu’il y ait des lois pour imposer un frein, et un roi, qui de la vraie cité discerne au moins la tour [5]. Il y a des lois ; mais qui les prend en main ?

  1. Guido del Duca avait auparavant dit à Dante, que « de bons qu’ils étaient autrefois, les hommes étaient devenus mauvais. »
  2. « Contre l’influence des astres. » Il s’agit du ciel matériel, et des vaines doctrines, alors si répandues, de l’astrologie judiciaire.
  3. S’il continue de combattre avec courage.
  4. La force et la nature de Dieu, à qui l’homme est soumis sans cesser d’être libre.
  5. Ce qu’il y a de plus capital et de plus éminent dans la société, la Justice.