Page:Dante - La Divine Comédie, trad. Lamennais, 1910.djvu/203

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doux et si affectueux, que de pareil on n’en entend point dans ce séjour mortel.

Ouvrant ses ailes, semblables à celles du cygne, celui qui ainsi nous avait parlé, nous dirigea en haut entre les parois du rocher. Sur nous ensuite il agita les pennes, déclarant heureux ceux qui lugent [1] parce que leurs âmes seront consolées [2].

« Qu’as-tu, qu’à terre seulement tu regardes ? me dit mon Guide, ayant tous deux l’Ange un peu au-dessus de nous. Et moi : — Si soucieux vais-je, à cause de la nouvelle vision, qui tant m’obsède que je ne puis cesser d’y penser. — Tu as vu, dit-il, cette antique magicienne qui, seule désormais, au-dessus de nous se lamente [3], et tu as vu comment l’homme se dégage d’elle. Que cela te suffise, et de tes talons frappe la terre : tourne les yeux vers le leurre que te montre le Roi éternel dans ses orbes immenses. »

Tel que le faucon, qui d’abord regarde ses pieds, se tourne ensuite au cri, et s’élance par le désir de la pâture qui devant l’attire, tel devins-je, et tel, aussi loin que se fend le rocher pour donner passage à qui monte, allai-je jusque-là où commence le circuit. Lorsque, libre, je fus dans le cinquième cercle, j’y vis des gens qui, gisant à terre la face en bas, pleuraient. « Adhaesit pavimento anima mea [4], » je les entendais dire, avec des soupirs si profonds, que l’on distinguait à peine les paroles.

« O élus de Dieu, dont la justice et l’espérance rendent les souffrances moins dures, dirigez-nous vers les hauts degrés. — Si vous venez sans avoir à craindre d’être ici gisants, et voulez trouver le chemin le plus court, que votre droite soit toujours en dehors [5]. »

  1. Déclarant heureux ceux qui pleurent, qui lugent. On a déjà vu des exemples de ces phrases mi-partie latines et italiennes.
  2. Paroles de Jésus-Christ, et l’une des sept Béatitudes que le Poète oppose aux sept Péchés capitaux.
  3. La Sirène représente l’Avarice, la Gourmandise et la Luxure. Ces trois vices, les seuls qui restent à expier, sont punis dans les trois derniers cercles du Purgatoire, situés au-dessus de celui où Dante est encore.
  4. « Mon âme s’est attachée au pavé. » Ps. CXVIII. Ces paroles, dans la bouche des avares qui se purifient en ce lieu, signifient l’attachement à ce qu’il y a de plus bas.
  5. « Ayez toujours votre droite du côté de la corniche opposée au mont. »