Page:Dante - La Divine Comédie, trad. Lamennais, 1910.djvu/204

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Ainsi pria le Poète, et ainsi il lui fut répondu d’un peu au-devant de nous. Et moi, par le parler, je discernai celui qui était caché ; et je tournai les yeux vers mon Seigneur, qui, avec un signe de contentement, m’accorda ce que demandait le regard du désir.

Quand je fus maître de disposer de moi, je m’approchai de cette créature que ces paroles m’avaient fait remarquer, disant : — Esprit, en qui le pleurer mûrit ce sans quoi tu ne peux retourner à Dieu [1], suspends un peu pour moi ton plus grand souci. Qui fus-tu, et pourquoi vos dos sont tournés en haut, dis-moi, si tu veux que je t’obtienne quelque chose là d’où je suis parti vivant. Et lui à moi : « Pourquoi veut le ciel que vers lui nos dos soient tournés, tu le sauras ; mais, auparavant, scias quod ego fui successor Petri [2]. Entre Siestri et Chiaveri [3] descend une belle rivière, de laquelle originairement ma race tire son nom. Durant un mois et un peu plus, j’éprouvai combien pèse le grand manteau à qui veut le préserver de la fange : paraîtraient une plume tous les autres fardeaux. Ma conversion, hélas ! fut tardive ; mais, quand je fus fait Pasteur romain, je connus la vie menteuse. Je vis que là ne s’apaisait point le cœur et que, dans cette vie, on ne pouvait monter plus haut, ce pourquoi de celle-ci en moi s’enflamma l’amour. Jusque-là misérable et séparée de Dieu fut mon âme tout avare : maintenant, comme tu vois, j’en suis ici puni. Ce qu’opère l’avarice, se manifeste ici dans la position renversée des Ames qui se purifient : et le mont n’a point de peine plus amère. Comme nos yeux, fixés sur les choses terrestres, ne se tournèrent point en haut, ainsi la justice ici les attache à terre : et comme l’avarice éteignit en nous tout amour du bien, par quoi se perd l’opérer [4], ainsi la justice ici nous tient resserrés, liés et pris des pieds et des mains, et tant qu’il plaira au Seigneur juste, nous resterons étendus immobiles. »

  1. La pureté de l’âme.
  2. « Sache que je fus successeur de Pierre. » Ottobuono de Fieschi, qui devint pape sous le nom d’Adrien V. Son pontificat ne dura qu’un mois et neuf jours.
  3. Dans le territoire de Gênes.
  4. Parce que, pour opérer le bien, il faut l’aimer.