Page:Dante - La Divine Comédie, trad. Lamennais, 1910.djvu/209

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nous applaudissons, et tout le mont roule dans l’infamie Polymnestor [1] qui tua Polydore. Enfin, ici l’on crie : O Crassus [2], dis-nous, puisque tu le sais, quel goût a l’or ? L’un parle haut, et l’autre bas, selon le sentiment qui nous excite à parler avec plus ou moins de véhémence. »

Cependant à écouter le bien que le jour on rappelle, je n’étais pas seul ; mais là auprès était une personne qui n’élevait pas la voix. Nous avions quitté cet esprit, et nous tâchions de gagner du chemin autant que nos forces nous le permettaient, lorsque je sentis trembler le mont comme une chose qui tombe : d’où je fus pris d’un frisson semblable à celui qui saisit l’homme qu’on mène à la mort. Si fortement ne trembla pas Délos [3], avant que Latone y eut fait le nid où elle enfanta les deux yeux du ciel. Puis retentit de toutes parts un cri tel, que le Maître se tourna vers moi, disant : « Ne crains rien, pendant que je te guide. « Gloria in excelsis Deo ! » tous disaient, selon que je le compris, lorsque de plus près je pus entendre les cris. Nous demeurâmes immobiles et en suspens, comme les pasteurs qui les premiers ouïrent ce chant [4], jusqu’à ce que, le tremblement ayant cessé, le chant aussi cessa. Puis nous reprîmes notre route sainte, regardant les ombres qui gisaient à terre, et qui déjà étaient retournées aux pleurs accoutumés.

Contre aucune ignorance qui me rendit désireux de savoir, je n’eus jamais si grand combat, si ma mémoire en cela n’erre pas, que n’était celui qu’en ma pensée il me semblait alors avoir ; et, à cause de la hâte, je n’osais demander, et là par moi-même je ne pouvais rien voir : ainsi je m’en allais timide et pensif.

  1. Afin de s’emparer des trésors que, durant le siège de Troie, Priam avait confiés à sa garde avec son fils Polydore, Polymnestor, roi de Thrace, mit à mort celui-ci par la plus infâme trahison.
  2. Crassus, vaincu par les Parthes, ordonna aux siens de le tuer, pour ne pas tomber vivant entre les mains des ennemis. Ceux-ci, lui ayant coupé la tête, la jetèrent dans un vase plein d’or en fusion, disant : « Tu as eu soif d’or, bois de l’or ; aurum sitisti, aurum bibe. »
  3. L’île de Délos errait et flottait, agitée par les eaux, jusqu’à ce que Latone la fixât pour y enfanter Apollon et Diane, que Dante appelle les deux yeux du ciel, la Fable identifiant Apollon avec le soleil, et Diane avec la lune.
  4. Voy. Luc, cap. II.