Page:Dante - La Divine Comédie, trad. Lamennais, 1910.djvu/210

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CHANT VINGT-ET-UNIÈME


La soif naturelle [1] qu’apaise seule l’eau qu’en grâce demanda la pauvre femme samaritaine [2], me tourmentait, et par la route embarrassée me hâtant à la suite de mon Guide, j’étais ému de la juste vengeance ; quand voilà que, comme en Luc il est écrit que le Christ, sorti du sépulcre, apparut à deux de ses disciples en voyage, nous apparut une ombre : derrière nous elle venait regardant la troupe gisante à ses pieds. Nous ne l’avions point aperçue, de sorte que la première elle parla, disant : « Mes frères, que Dieu vous donne la paix ! » Soudain nous nous retournâmes, et Virgile lui rendit le salut qui convenait au sien.

Puis il commença : « Que dans l’assemblée bienheureuse t’introduise en paix le juste Juge qui me relègue dans un éternel exil. — Si vous êtes, dit-elle en continuant d’aller, des ombres que Dieu ne daigne pas admettre là-haut, qui vous a ainsi conduits par cet escalier ? » Et mon Maître : « Si tu regardes les signes que porte celui-ci, et que l’Ange a tracés, bien verras-tu qu’avec les bons il doit régner. Mais, parce que celle qui jour et nuit file, n’avait pas encore épuisé la quenouille que Clotho dispose et mesure pour chacun, son âme, sœur de la tienne et de la mienne, venant là-haut n’y pouvait venir seule, ne voyant pas comme nous voyons : Ce pourquoi je fus tiré de la large gueule de l’Enfer pour le guider, et je le guiderai aussi loin que le pourra mon savoir. Mais dis-nous, si tu le sais, pourquoi de telles secousses ont ébranlé le mont, et pourquoi tous ensemble ont paru jeter le même cri, jusqu’à son humide pied. »

Ainsi demandant, il toucha tellement le but de mon désir, que par l’espérance un peu apaisée fut ma soif. Celui-là commença : « Point n’est-ce une chose qui trouble

  1. Le désir naturel de savoir.
  2. Jésus-Christ ayant dit à la Samaritaine : Qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura jamais soif, elle lui répondit : Seigneur, donnez-moi de cette eau, afin que je n’aie pas soif. — Joan., cap. IV.