Page:Dante - La Divine Comédie, trad. Lamennais, 1910.djvu/226

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sois jusqu’au fond de ton vouloir, voici Stace : je lui demande et le prie d’être maintenant le médecin de tes plaies. — Si je dévoile à sa vue les choses éternelles là où tu es, » répondit Stace, « que m’excuse l’impuissance de te refuser. » Puis il commença : « Si ton esprit, mon fils, reçoit et garde mes paroles, elles te seront une lumière qui éclairera le comment dont tu t’enquiers. Le sang parfait [1], qui jamais n’est bu par les veines altérées, et reste comme l’aliment qu’on enlève de table, prend dans le cœur une vertu informative de tous les membres humains qu’il doit produire en courant dans les veines. Plus épuré encore, il descend en un lieu qu’il est mieux de taire que de nommer ; et de là ensuite il dégoutte sur un autre sang [2], dans un vase naturel. Ensemble ils s’y mêlent, l’un passif, l’autre actif, à cause de la perfection du lieu d’où il est exprimé : et uni à celui-là, il commence à agir, le coagulant d’abord, puis vivifiant ce qui, par sa matière, a pris de la consistance.

La vertu active devient une âme semblable à celle d’une plante, différente seulement en ce qu’elle est en voie, et l’autre déjà au rivage [3]. Tant opère-t-elle ensuite, que déjà elle se meut et sent, comme une anémone marine ; puis elle se prend à organiser les puissances dont elle est la semence. Tantôt se replie [4], tantôt se dilate, mon fils, la vertu qui provient du cœur du générateur, où la nature veille au soin de tous les membres. Mais comment d’animal on devient enfant, tu ne le vois pas encore : c’est là le point sur lequel a erré un plus savant que toi [5] ; lequel, par sa doctrine,

  1. La portion la plus pure du sang.
  2. Le sang de la femme.
  3. L’âme humaine, destinée à devenir plus parfaite, continue d’être en voie de développement, tandis que celle de la plante est tout ce qu’elle sera jamais.
  4. Au lieu de spiega, nous lisons piega, leçon donnée par quelques manuscrits.
  5. Averroès, célèbre commentateur d’Aristote. Dans le langage des scolastiques, l’intellect possible, — ou, comme on le nommait encore passibilis, passivus, pour le distinguer de l’intellect actif, agens, dont la fonction, suivant ces mêmes scolastiques, est seulement de tirer des espèces matérielles les espèces spirituelles, ou, comme on s’exprimerait aujourd’hui, d’abstraire les idées des phénomènes : — l’intellect possible, disons-nous, est la faculté radicale d’entendre, ou l’intelligence même essentielle. Or Averroès ne voyant pas que l’intellect possible eût d’organe propre ainsi que les sens, en concluait qu’il n’avait rien de substantiel et n’existait que comme accident, per accidens ; d’où il s’ensuivait que l’homme n’était intelligent ou raisonnable que par accident, et non substantiellement : doctrine qui fut condamnée plus tard dans le concile de Latran, sous Léon X.