Page:Dante - La Divine Comédie, trad. Lamennais, 1910.djvu/237

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qui, seulette, allait chantant et cueillant çà et là les fleurs dont était diapré tout son chemin. — O belle Dame qu’enflamment les rayons d’amour, si j’en crois la ressemblance qui d’ordinaire rend témoignage du cœur, qu’il te plaise, lui dis-je, t’approcher assez de ce ruisseau pour que j’entende ce que tu chantes. Tu me rappelles où et quelle était Proserpine, quand sa mère la perdit, et qu’elle perdit, elle, le printemps [1].

Comme, sans s’élever de terre et toute en soi, glisse une Dame qui danse, mettant à peine un pied devant l’autre ; ainsi, sur des fleurs vermeilles et jaunes, vers moi glissa-t-elle, comme une vierge qui baisse ses yeux modestes ; et elle satisfit mes prières, s’approchant assez pour que le doux son vînt à moi, avec le sens qu’il contenait.

Dès qu’elle fut là où de ses ondes le beau fleuve baignait l’herbe, de lever les yeux elle me fit la faveur. Je ne crois pas que tant de lumière brillât sous les cils de Vénus blessée par son fils, hors de toute sienne coutume [2]. Sur l’autre rive, à droite, elle souriait, cueillant de ses mains les fleurs que la profonde terre produit sans semence. De trois pas nous séparait le fleuve ; mais l’Hellespont, là où passa Xerxès, qui refrène encore tout orgueil humain, ne fut pas plus en haine à Léandre, à cause de ses flots épandus entre Sestos et Abydos [3], que ne me l’était celui-là, pour ne point s’être ouvert alors. « Vous êtes nouveaux ici, », commença-t-elle ; « et peut-être parce que je ris en ce lieu choisi pour nid à la race humaine [4], quelque doute vous tient-il en étonnement ; mais le psaume delectasti [5] répand une lumière qui peut éclairer votre intelligence. Et toi qui vas devant, et

  1. Pluton ayant enlevé Proserpine qui se promenait dans une prairie, sa mère la perdit, et elle perdit, elle, le printemps, c’est-à-dire les fleurs qu’elle avait cueillies.
  2. Par inadvertance, sans dessein prémédité, contre sa coutume.
  3. Lesquels le séparaient de son amante.
  4. Le Paradis terrestre, situé au-dessus du mont du Purgatoire.
  5. Ps. 91, vers 4. — Le Psalmiste, s’adressant à Dieu, parle de la joie que lui inspire la contemplation de ses œuvres : Delectasti me, Domine ; in facturâ tuâ et in operibus manum tuarum exultabo.