Page:Dante - La Divine Comédie, trad. Lamennais, 1910.djvu/238

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qui m’as priée, parle, si tu veux entendre ; car je suis venue pour répondre à toutes les questions, autant qu’il suffit. » — L’eau, dis-je, et le bruit de la forêt combattent en moi la foi récente en une chose qu’on m’a dite contraire à celle-ci. D’où elle : « Je dirai de quelle cause procède ce qui t’étonne, et je dissiperai le brouillard qui t’offusque. Le souverain Bien, qui se complaît en soi seul, créa l’homme apte au bien, et il lui donna ce lieu pour arrhes d’éternelle paix. Par sa faute, peu il demeura ici ; par sa faute, en pleurs et labeurs il changea un vertueux rire et un doux jeu. Afin que le trouble qu’engendrent au-dessous de ce lieu les exhalaisons de l’eau et de la terre, qui suivent autant qu’elles peuvent la chaleur [1], ne nuisit point à l’homme, ce mont vers le ciel s’est tant élevé, et de ce trouble est exempt depuis l’endroit où il se ferme [2]. Or, parce que tout l’air se meut circulairement avec le premier mobile, si d’aucun côté ce cercle n’est rompu, sur cette hauteur que de toute part environne l’air pur, ce mouvement frappe et fait résonner l’épaisse forêt ; et tel est le pouvoir de la plante frappée, que de sa vertu elle imprègne le souffle, lequel ensuite en circulant la répand autour : et l’autre terre [3], selon qu’elle y est apte par elle-même ou par son climat, conçoit et produit de diverses vertus des arbres divers.

Cela entendu, on cesserait de s’étonner quand quelque plante y pousse sans semence apparente. Et tu dois savoir que la campagne sainte où tu es, est pleine de toutes semences, et qu’elle a en elle un fruit qui là ne se cueille point [4]. L’eau que tu vois ne jaillit point d’une source que renouvellent des vapeurs que le froid condense, comme un fleuve qui perd et reprend haleine [5] ; mais elle sort d’une fontaine perpétuellement durable qui, ouverte de deux côtés par le vouloir de Dieu, recouvre autant qu’elle verse. De ce

  1. C’est-à-dire que, plus la chaleur est grande, plus sont abondantes ces exhalaisons.
  2. Le sens est que « le trouble causé par les exhalaisons de l’eau et de la terre ne s’élève pas plus haut que la porte du Purgatoire. »
  3. La terre située au-dessous du mont.
  4. Le fruit de l’arbre de vie, dont il est dit dans l’Écriture « que celui qui en mange ne meurt point. »
  5. Qui, selon la mesure des eaux qu’il reçoit, coule tantôt plus vite, tantôt plus lentement.