Page:Dante - La Divine Comédie, trad. Lamennais, 1910.djvu/384

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maintenant t’enflamme, et te presse de connaître ce que tu vois, me plaît d’autant plus, que plus il s’ouvre [1]. Mais de cette eau il convient que tu boives, avant qu’une si grande soif en toi se désaltère. » Ainsi me dit le Soleil de mes yeux. Il ajouta encore : « Le fleuve et les topazes qui entrent et qui sortent, et le ris de l’herbe, sont des ombres transparentes de leur être véritable. Non que de soi ces choses soient acerbes [2], mais le défaut vient de toi, qui n’as pas encore une vue assez superbe [3]. »

Point n’est d’enfant qui, s’éveillant beaucoup plus tard que d’ordinaire, se précipite, le visage tourné vers le lait, aussi vite que je fis, pour de mes yeux faire encore de meilleurs miroirs, m’inclinant vers l’onde qui coule afin qu’on s’y améliore. Et lorsque j’en mouillai le bord de mes paupières, de longue qu’elle était elle me sembla devenue ronde. Puis, comme une personne sous un masque paraît autre qu’auparavant, si elle dépouille le visage emprunté qui la cachait, ainsi pour moi se changèrent en de plus grandes fêtes [4] les fleurs et les étincelles, de sorte que je vis clairement les deux cours du ciel [5].

O splendeur de Dieu, par qui je vis le haut triomphe du royaume véritable, donne-moi la puissance de dire comment je le vis !

Une lumière est là-haut, qui rend visible le Créateur à cette créature qui dans sa vue seule trouve sa paix : elle s’étend en forme de cercle, autant qu’il faudrait pour que du soleil elle fût une trop large ceinture. Elle tire tout son éclat d’un rayon réfléchi au sommet du Premier mobile, qui reçoit de là sa vie et sa vertu ; et ainsi qu’un coteau se mire dans l’eau qui baigne son pied, comme pour se voir orné de toutes les richesses des herbes et des fleurs, ainsi, au-dessus de la lumière, tout autour, je vis, sur plus de mille gradins, se mirer tous ceux de nous qui là-haut sont

  1. Turge, du latin turgescit ; image prise des boutons qui grossissent, deviennent turgescents.
  2. Autre image du même, genre, tirée des fruits verts, où la dent, à cause de leur dureté, entre difficilement. Ainsi acerbo signifie, ici, difficile à entendre.
  3. Qui s’élève assez haut, qui soit assez perçante.
  4. « Prirent un aspect plus splendide. »
  5. Celle des anges et celle des saints.