cria de loin : « A quel supplice venez-vous, vous qui descendez la côte ? Parlez d’où vous êtes, sinon je tire l’arc. » Mon Maître dit : « Nous répondrons de près à Chiron ; pour ton malheur, ton vouloir fut toujours prompt. » Puis, me touchant, il dit : « Celui-ci est Nessus, qui mourut pour la belle Déjanire, et se vengea lui-même [1], et celui du milieu, qui regarde sa poitrine, est le grand Chiron, le nourricier d’Achille ; cet autre est Pholas, qui fut si plein de colère.
Autour de l’étang par milliers ils vont, lançant des flèches contre tout ombre qui se soulève, au-dessus du sang, plus que ne le permet sa faute. »
Nous nous approchâmes de ces animaux agiles ; Chiron prit un trait, et avec la coche il repoussa sa barbe des mâchoires. Lorsqu’il eut découvert sa large bouche, il dit à ses compagnons : « Remarquez-vous que celui d’arrière meut ce qu’il touche ? Ainsi n’ont pas coutume de faire les pieds des morts. » Et le bon Maître, qui déjà près de sa poitrine, où se joignent les deux formes [2], répondit : « Bien est-il vivant, et ainsi seul je dois lui montrer la sombre vallée : la nécessité l’y conduit, non le plaisir. Telle [3] suspendit ses chants d’alleluia pour venir me commettre cet office nouveau ; il n’est point un larron, ni moi une âme noire. Mais, par cette vertu par qui mes pieds se meuvent sur une route si âpre, donne-nous un des tiens, qui, nous accompagnant, nous montre le gué, et porte en croupe celui-ci, qui n’est pas un esprit qui aille par les airs. » Chiron se tournant à droite, dit à Nessus : « Retourne, et guide-les, et si une autre bande vous arrête, écarte-là ! »
Lors, avec l’escorte fidèle, nous suivîmes les bords de la rouge fosse bouillante, où les brûlés poussaient de grands cris. J’en vis d’enfoncés jusqu’aux sourcils, et le grand Centaure dit : « Ce sont les tyrans qui s’assouvissent de pillage et de sang. Ici se pleurent les ravages accomplis
- ↑ Nessus, ayant tenté d’enlever Déjanire, fut tué par Hercule, avec des flèches trempées dans le sang de l’Hydre. Pour se Venger, il fit don de sa robe ensanglantée à Déjanire, en lui disant qu’elle avait en soi une vertu qui empêcherait son mari d’aimer d’autres femmes. Elle le crut, et donna la robe à Hercule, qui, après s’en être revêtu, embrasé d’un feu intérieur, entra en furie et mourut.
- ↑ Où finit la forme humaine et commence la forme de cheval.
- ↑ Béatrice.