Page:Dante - La Divine Comédie, trad. Lamennais, 1910.djvu/48

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Va-t’en, bête brute ! celui-ci ne vient pas instruit par ta sœur ; il vient pour voir vos peines. »

Comme le taureau qui rompt ses liens au moment où il vient de recevoir le coup mortel, ne sait où aller, mais çà et là sautille, ainsi vis-je faire le Minotaure. Et le Maître prudent cria : « Cours au passage ! il est bon que tu descendes pendant sa furie. » Et descendant, nous prîmes notre route par cet éboulement de pierres, qui souvent roulaient sous nos pieds, à cause du poids nouveau [1].

Je m’en allais pensif, et lui me dit : « Tu penses peut-être à ces ruines que garde la colère bestiale que je viens de réprimer. Or, je veux que tu saches que, lorsque, l’autre fois, je descendis dans le bas enfer, cette roche n’était pas encore écroulée. Mais, si je juge bien, peu avant la venue de celui qui enleva a Dite la grande proie du cercle supérieur [2], de toutes parts la profonde et sale vallée trembla tellement, que je pensai que l’univers sentait l’Amour par lequel il en est qui croient que plusieurs fois le monde fut ramené dans le chaos [3] ; et, à ce moment, cette vieille roche, ici, et ailleurs encore plus, s’écroula. Mais fixe tes regards sur la vallée ; nous approchons du lac de sang [4] où bouillent ceux qui, par violence, ont nui à autrui. »

O aveugle cupidité, ô folle colère, qui tant nous incite pendant la courte vie, et ensuite, durant l’éternelle, nous plonge en un si affreux bain !

Je vis une large fosse qui, comprenant toute la partie plane, se contournait en arc, comme me l’avait dit mon Guide. Entre elle et le pied de la ravine couraient à la file des Centaures armés de flèches, comme ils avaient coutume d’aller à la chasse dans le monde. Nous voyant descendre, chacun d’eux s’arrêta, et de la bande trois se détachèrent, avec des arcs et des petits dards éprouvés. Et l’un d’eux

  1. Le poids de Dante, revêtu de son corps.
  2. La venue de Jésus-Christ, qui tira des Limbes les âmes des Justes.
  3. Empédocle croyait le monde engendré par la discorde des éléments, et que, lorsqu’elle cessait, lorsque la concorde, l’amour, unissait le semblable au semblable, le monde retombait dans le chaos.
  4. Première enceinte, ou girone du septième cercle.