Page:Dante - La Divine Comédie, traduction Lamennais volume 1, Didier, 1863.djvu/181

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
169
INTRODUCTION.

les âmes encore malades, encore souffrantes, mais assurées désormais de posséder, au sein d’une éternelle paix, le bien immuable. Ce sont ces secrets rapports, qu’on sent, qu’on n’exprime point, tant les nuances en sont et délicates et fugitives, qui font le charme inépuisable des œuvres du vrai génie.

Mais le génie, comme la nature, sait aussi varier ses tableaux pour en rendre l’impression plus vive par les contrastes. Dante et Virgile se joignent à ces pèlerins du monde des ombres, qui s’offrent à les guider vers le passage qu’ils cherchent. L’un d’eux, en cheminant, demande à Dante s’il le vit jamais sur la terre : « Il était blond et beau, et de noble aspect ; « mais un coup avait divisé l’un des sourcils. » Dante n’ayant de lui aucun souvenir : « Maintenant, vois ! » reprit-il ; et il lui montra une blessure au haut de la poitrine. Puis, souriant, il dit : « Je suis Manfred. »

On connaît son histoire. Clément IV, poursuivant en lui un descendant de Frédéric II, après l’avoir excommunié, appela Charles d’Anjou pour le chasser du royaume de Naples, dont l’archevêque de Cosenza avait offert, au nom du Pape, l’investiture à ce prince ambitieux. Manfred périt dans la bataille livrée près de Bénévent. Son corps, selon les lois de l’Église, ne pouvant reposer en terre sainte, Charles ordonna de l’ensevelir au bout du pont de Bénévent. Chaque soldat jeta une pierre sur sa fosse. On appelait mora cette