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L’ENFER

Virgile, me voyant verser des larmes, répondit : « Si tu veux sortir de ce lieu sauvage, il faut suivre une autre route. Cette louve qui t’effraye empêche qu’on ne s’engage dans ce chemin. Elle dévore à la fin ceux qui s’obstinent à y pénétrer. Insatiable de sa nature, plus elle trouve de proies à déchirer, plus la faim la dévore. Elle s’accouple avec un grand nombre d’animaux, et il en est un plus grand nombre encore dont elle ne dédaignerait pas les caresses immondes : mais bientôt paraîtra le Lévrier qui doit exterminer cette louve sans pitié. Il ne sera pas nourri de l’ambition de posséder des terres et des richesses ; il ne s’alimentera que de sagesse, de bienfaisance et de courage. Né entre Feltro et Feltre, il sera le sauveur de l’Italie épuisée qui vit, pour sa gloire, mourir de leurs honorables blessures la vierge Camille, Turnus, Nisus et Euryale. Il poursuivra la louve, jusqu’à ce qu’il l’ait rejetée dans l’abîme des pleurs, d’où l’envie l’a vomie sur la terre. Pour ton avantage, suis-moi donc, je serai ton guide : je te ferai sortir de ce lieu terrible ; je te conduirai à travers le royaume éternel, où tu entendras les accents du désespoir, où tu verras le supplice de ces anciens coupables qui invoquent à grands cris une seconde mort : tu visiteras ensuite ceux qui vivent satisfaits au milieu des flammes, parce qu’ils espèrent jouir, quand le ciel le permettra, d’une divine béatitude. Si tu veux monter au séjour des ombres bienheureuses, une âme plus digne que moi de cet honneur te protégera dans ce glorieux voyage. À mon départ, je te laisserai auprès d’elle. Le souverain qui règne sur les mondes ne veut pas que je serve de guide dans son empire, parce que je n’ai pas connu la foi véritable. Sa puissance s’étend sur toutes les parties de l’univers ; mais c’est dans le ciel qu’il fixe son séjour. C’est là que tu dois admirer sa capitale et son trône : heureux ceux qu’il appelle jusqu’à lui ! »

Alors je parlai ainsi : « Ô poète ! je te le demande au nom de ce Dieu que tu n’as pas connu, aide-moi à fuir cette forêt et d’autres lieux plus funestes ; accompagne-moi dans ces régions dont tu m’as entretenu ; fais que je voie ceux que tu dis plongés dans un si profond désespoir, et conduis-moi jusqu’à la porte confiée à saint Pierre. »

Virgile alors se mit en marche, et je suivis ses pas.

[Ornement à insérer]