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L’ENFER

obtint de voir les profondeurs du royaume immortel ; tout être doué de quelque sagesse, s’il pense aux heureuses destinées promises à la famille d’Énée, ne s’étonnera pas que l’ennemi de tout mal ait montré tant de courtoisie envers ce prince. Le fils d’Anchise avait été désigné par le souverain des hautes sphères pour être le fondateur de la féconde Rome et de son empire, que le ciel protégeait avec l’intention d’y placer ensuite le successeur du premier Pierre ; et dans ce voyage que tu as si dignement chanté, Énée entendit des choses qui lui présagèrent sa victoire et l’éclat du manteau pontifical.

« Le vase d’élection fut ravi dans le ciel : il devait rapporter de ce saint pèlerinage un nouvel appui pour la foi qui est le principe de notre salut. Mais moi, pourquoi dois-je obtenir le même bienfait ? Et qui me l’accorde ? Je ne suis ni Énée ni Paul ; ni à mes yeux, ni aux yeux d’aucun mortel, je ne suis digne d’un tel honneur. Si je le suis, je crains que ma tentative ne soit insensée. Tu es sage, tu me comprends mieux que je ne m’exprime. »

De même qu’un homme qui, changeant de pensée, renonce à ce qu’il avait voulu entreprendre, je m’arrêtai au milieu de cette montagne obscure, effrayé de la témérité d’une entreprise si peu réfléchie, et déterminé à ne point pénétrer plus avant.

« Si je t’ai bien compris, me répondu le poète magnanime, ton âme cède à un mouvement de terreur. La vile crainte souvent détourne l’homme d’une tâche honorable, et le fait fuir comme l’animal timide qu’épouvante une ombre mensongère. Rassure tes esprits ; apprends pourquoi je suis venu près de toi et ce qui m’a fait courir à ton aide, dans le premier moment où tu as excité ma compassion.

« Je me trouvais parmi ceux qui attendent au milieu des Limbes que leur sort soit fixé, lorsque je fus appelé par une femme sainte et belle. Je lui dis que j’obéirais à ses ordres. Ses yeux brillaient d’une clarté plus éblouissante que celle des étoiles, et elle m’adressa ces paroles d’un ton de voix suave et angélique :

« Âme bienfaisante de Mantoue, dont le nom vit encore dans le monde et vivra autant que le mouvement des créations célestes, mon ami, et non celui de la fortune, a trouvé sur la plage déserte des obstacles qui l’ont effrayé et l’ont fait retourner en arrière. Je crains qu’il ne se soit déjà égaré. Peut-être viens-je trop tard à son secours, d’après ce que j’ai entendu dans le ciel. Va, emploie les ornements de ton