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Page:Dante - La Divine Comédie (trad. Artaud de Montor).djvu/23

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CHANT DEUXIÈME

éloquence, fais tant d’efforts pour le sauver que ma douleur soit apaisée ; c’est Béatrix qui t’en conjure. Je viens d’un lieu d’où je ne veux pas rester longtemps éloignée. Ma tendresse pour mon ami sera l’excuse de mes prières. Quand je serai de nouveau devant mon maître, je me louerai souvent de toi auprès de lui. »

Béatrix se tut, et je lui dis :

« Ô reine de vertu ! c’est par toi seule que l’homme surpasse en excellence les créatures contenues sous le ciel qui a la plus petite circonférence. Tes commandements me sont doux ; si je les avais déjà exécutés, je croirais encore t’avoir obéi trop tard. J’ai assez entendu ta volonté ; mais comment ne crains-tu pas de descendre dans ce monde ténébreux, du haut de ce royaume immense où tu brûles de retourner ? » — « Je vais, me répondit-elle, satisfaire à ta demande en peu de mots ; et tu apprendras pourquoi je ne crains pas de venir parmi vous. Il faut redouter ce qui peut apporter quelque mal, mais non pas ce qui ne saurait nuire. Je suis, par la faveur de Dieu, telle que votre misère et les flammes de ces gouffres ne peuvent m’atteindre. Il est dans le ciel une femme bienveillante qui gémit des obstacles que je t’envoie combattre. Sa charité arrête l’effet d’un jugement sévère. Cette femme s’est adressée à Lucie dans ses prières, et lui a dit : « Ton ami fidèle a besoin de ton secours, je le recommande à ta clémence. » « Lucie, ennemie de tout ce qui ne connaît pas la pitié, est venue dans le lieu où j’étais assise près de l’antique Rachel, et m’a parlé ainsi : « Béatrix, ô vraie louange de Dieu, est-ce que tu ne vas pas secourir celui qui t’a voué un si ardent amour, celui qui, pour toi, s’éleva si noblement au-dessus du vulgaire ? N’entends-tu pas ses sourds gémissements ? ne vois-tu pas qu’il se débat contre la mort, sur ce fleuve dont l’océan le plus agité ne se vante pas de surpasser les orages ? »

« À peine eus-je entendu ces paroles que, plus prompte qu’un homme qui court à ses profits, ou qui fuit un malheur, je quittai mon siège glorieux, pleine de confiance dans ta pure éloquence, qui t’honore toi et ceux qui la suivent pour modèle. »

« Béatrix cessa de parler ; et, me regardant avec des yeux baignés de larmes, elle semblait m’inviter à ne pas différer de partir. Je lui ai donc obéi. Je suis venu à toi comme elle a voulu, et je t’ai délivré de la louve qui te fermait le plus court chemin pour franchir la montagne. Mais maintenant réponds, pourquoi demeures-tu immobile ? pourquoi ne chasses-tu pas