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Page:Dante - La Divine Comédie (trad. Artaud de Montor).djvu/239

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CHANT NEUVIÈME

d’où tu viens, et qui tu es. Nous sommes émerveillés de l’insigne faveur que tu reçois et qui n’exista jamais. » Je répondis : « Au milieu de la Toscane coule un petit fleuve qui naît dans la montagne de Falterona, et qu’un cours de la longueur de cent milles ne peut rassasier. C’est près de ce fleuve que j’ai reçu mon enveloppe mortelle. Vous dire qui je suis serait parler en vain ; la renommée n’a pas encore beaucoup fait retentir mon nom. »

L’ombre qui m’avait interrogé la première reprit : « Mais si je te comprends bien, tu veux parler de l’Arno. » Et l’autre repartit : « Pourquoi a-t-il caché le nom de ce fleuve ? On n’en use ainsi qu’en rappelant des choses qui font horreur. — Je ne sais, dit ensuite sa compagne, mais le nom de la vallée où coule ce fleuve est bien digne de sortir de la mémoire des hommes ; car dès sa source, là où la montagne dont a été détaché Peloro déverse des eaux si abondantes, jusqu’au point où ce fleuve vient réparer la perte de celles que, sur la mer, le soleil réduit en vapeurs qui doivent à leur tour former de nouveau les rivières, les habitants de ses bords fuient la vertu comme un serpent ennemi, ou par l’effet d’une situation désavantageuse, ou par l’empire d’une funeste habitude. Ceux qui rampent dans cette vallée perverse ont tellement changé leur caractère, qu’il semble que Circé les repaisse de mets souillés par ses maléfices. D’abord ce fleuve creuse son lit maigre à travers les toits de pourceaux hideux plus faits pour dévorer des glands que pour se nourrir des aliments des hommes. En continuant sa route, il trouve des roquets criards, plus hargneux que ne le comporte leur force ; aussi, dans son dédain, il leur tourne le museau et poursuit son cours. Plus elle s’agrandit, plus cette fosse maudite et ingrate rencontre des chiens qui se font loups. Après être descendue à travers des gorges profondes, elle trouve des renards si frauduleux qu’aucune ruse ne peut les tromper. Je ne cesserai pas de parler, quoique d’autres puissent m’entendre, et il sera utile à celui qui se dit d’un pays voisin de l’Arno de connaître ce qu’un esprit prophétique me fait annoncer. Je vois ton fils qui chasse ces loups sur la rive du fieuve cruel, et qui les met en fuite. Il vend leur chair toute vivante, ensuite il les tue comme de vieilles bêtes ; il arrache ainsi à beaucoup d’entre eux la vie, et à lui, l’honneur. Il sort, teint de sang, de la triste forêt, et il la laisse telle que d’ici à mille ans elle ne pourra reverdir. »

Comme la figure de celui à qui l’on prédit des malheurs prochains exprime bientôt le trouble, de quelque côté qu’il soupçonne le danger, de même le visage de l’autre âme qui écoutait se plongea dans l’affliction, après