Page:Dante - La Divine Comédie (trad. Artaud de Montor).djvu/296

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qui baissait, précédait mon corps. À peine avions-nous franchi quelques marches, que mes guides et moi nous vîmes, à la hauteur de l’ombre, que le soleil disparaissait. Avant que l’horizon se fût revêtu des mêmes couleurs dans toutes ses immenses parties, et que la nuit eût également distribué partout ses ténèbres, nous nous fîmes chacun un lit d’un degré ; mais c’était moins le plaisir de nous arrêter que l’âpreté de la montagne qui nous ôtait la faculté de continuer le chemin.

Tels que les chèvres qui, avant d’avoir pris leur pâture, se sont hasardées, avec témérité, sur la cime des montagnes, et ensuite, pendant la chaleur du jour, ruminent silencieusement à l’ombre, gardées par le pasteur appuyé sur la houlette avec laquelle il doit les protéger, tels que le berger qui veille la nuit autour de son troupeau pour que les bêtes féroces ne viennent pas le disperser : tels nous étions tous trois entourés de toutes parts par la montagne, moi comme la chèvre, et mes guides comme les bergers. On ne pouvait que difficilement voir le ciel ; mais, dans le petit nombre d’étoiles que j’apercevais, je remarquais qu’elles étaient plus claires et plus grandes qu’à l’ordinaire.

Pendant que j’étais occupé à les regarder et à ruminer en moi-même, je fus surpris par le sommeil, par ce sommeil messager, qui souvent rapporte les événements avant qu’ils arrivent.

À l’heure, je crois, où Cythérée, qui paraît toujours brûler d’un feu d’amour, commençait à s’élever sur l’horizon de la montagne, il me parut que je voyais en songe une femme jeune et belle qui cueillait des fleurs dans un pré, et qui disait en chantant : « Quiconque demande mon nom, saura que je suis Lia, et que je tresse une guirlande de mes belles mains. Ici je me pare pour me plaire à moi-même, quand je me réfléchirai dans le miroir divin ; mais ma sœur Rachel ne quitte jamais le sien et le contemple tout le jour ; elle prend plaisir à y considérer ses yeux célestes, comme moi je m’étudie à m’orner de mes mains : il lui plaît de contempler, à moi d’agir. »

Déjà l’aube qui est agréable aux pèlerins, d’autant plus qu’ils se rapprochent de leur patrie, dissipait les ténèbres et mon sommeil : je me levai en voyant les maîtres respectables déjà debout. Virgile me dit : « Ce doux fruit que les mortels recherchent avec tant d’avidité doit aujourd’hui apaiser ta faim. »

Jamais généreuses étrennes ne firent plus de plaisir que ces mots. Mon désir d’arriver s’augmentait d’un tel plaisir, qu’à chaque pas je sentais s’accroître les ailes nécessaires à mon vol.