Page:Dante - La Divine Comédie (trad. Artaud de Montor).djvu/340

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le fond, les images reviennent à nos yeux, affaiblies comme l’éclat d’une perle qui orne un front éblouissant de blancheur ; telles je vis des figures qui paraissaient prêtes à parler.

Je tombai alors dans l’erreur contraire à celle qui alluma l’amour entre l’homme et une fontaine. Aussitôt que je les eus remarquées, pensant qu’elles étaient réfléchies par un corps lucide, je tournai les yeux, pour savoir de qui je rencontrais l’image ; mais, ne voyant rien, je les ramenai sur mon guide fidèle, qui souriait, et dont les regards étincelaient d’une splendeur sacrée.

« Ne t’étonne pas, dit Béatrix, de me voir sourire de ton jugement puéril : tu n’as pas encore appuyé le pied sur la vérité, et comme il t’arrive souvent, tu as trébuché.

« Les figures que tu aperçois sont de vraies substances, reléguées ici pour n’avoir gardé leurs vœux qu’imparfaitement. Parle avec elles, écoute-les, et apprends que la lumière véritable qui les éclaire ne les laisse jamais s’égarer. »

Et moi je m’adressai à l’ombre qui semblait la plus disposée à converser, et, du ton d’un homme que trop de précipitation embarrasse, je parlai en ces termes : « Ô toi, splendeur si heureusement née, qui dois aux rayons de la vie éternelle une douceur qu’on ne sait pas comprendre, quand on ne l’a pas sentie, daigne m’être gracieuse et me dire ton nom et le sort de tes compagnes. »

Et elle, empressée et avec les yeux riants : « Notre charité ne ferme jamais la porte à une volonté raisonnable. Elle est conforme à celle de Dieu, qui veut que toute sa cour lui ressemble. Dans le monde, je fus sœur religieuse. Si tu m’examines bien, je ne te serai pas inconnue, quoique devenue plus belle : tu reconnaîtras que je suis Piccarda.

« J’ai été placée ici avec ces autres bienheureux, dont je partage la félicité dans la sphère la plus tardive. Nos affections, enflammées seulement d’une charité et d’un amour qu’elles doivent à l’Esprit-Saint, sont joyeuses du séjour que Dieu leur a destiné, et ce sort, qui paraît si peu favorable, nous est réservé à cause de notre négligence, et parce que nous avons manqué en partie à nos vœux. »

Je dis à Piccarda : « Sur vos figures admirables brille je ne sais quoi de divin, qui les change au premier abord. Ma mémoire ne m’a pas servi promptement, mais ce que tu m’annonces vient m’aider, et il m’est plus