Page:Dante - La Divine Comédie (trad. Artaud de Montor).djvu/398

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Béatrix qui était un peu éloignée, sourit, et me parut celle qui toussa, pour encourager la première faute qu’on rapporte de Ginèvre.

Alors je commençai ainsi : « Vous êtes mon père, vous me permettez de vous entretenir avec assurance ; vous m’élevez tellement, que je suis plus que moi-même. Mon âme se remplit d’allégresse par tant de canaux, qu’après s’en être rassasiée, elle en est encore une source abondante. Dîtes-moi donc, ô première tige de ma race, quels sont vos ancêtres, et en quelle année s’est écoulée votre enfance. Parlez-moi du bercail de saint Jean ; dites-moi dans quel état de puissance il était alors, et quels étaient les citoyens les plus dignes des hautes magistratures. »

Le vent augmente la chaleur du charbon au milieu des flammes ; de même je vis la lueur devenir plus belle, en entendant mes paroles caressantes ; et, sans se servir de notre manière commune de nous exprimer, elle répondit d’un ton de voix douce et suave : « Depuis le jour où l’on a dit Ave, jusqu’au moment où ma mère, qui est aujourd’hui Bienheureuse, me mit au monde, cette planète revint cinq cent cinquante et trente fois s’enflammer aux rayons de son Lion. Mes ancêtres et moi nous naquîmes dans le quartier où finit la course, le jour de votre Jeu annuel. Que ces détails te suffisent : il est plus modeste de ne pas te dire ce que furent mes pères, et d’où ils vinrent.

« Ceux qui, dans ce temps, pouvaient porter les armes, dans l’enceinte qui se prolonge entre Mars et Baptiste, ne formaient que le cinquième de ceux qui y vivent aujourd’hui. Cette population était pure jusqu’au dernier artisan ; mais actuellement elle est mêlée d’habitants de Campi, de Certaldo et de Fighine : combien il aurait été préférable d’avoir ces peuples pour voisins, et de marquer sa frontière à Galluzzo et à Trespiano, plutôt que de les admettre dans la ville, où ils soutiennent les saletés d’un contadin d’Aguglion, et de celui de Signa, qui a l’œil si aiguisé à trafiquer ! Si la nation qui a le plus dégénéré dans le monde, au lieu d’être une marâtre pour César, eût été ce qu’est une mère tendre pour son fils, tel a été fait citoyen de Florence, et commerce dans cette ville, tel qui aujourd’hui serait relégué à Simifonte, où son père demandait l’aumône : les Comtes se verraient encore à Montemurlo ; les Cerchi, dans la juridiction ecclésiastique d’Acone, et peut-être les Buondelmonti à Valdigrieve.

« La confusion des personnes a souvent été cause des maux de la ville, comme trop de nourriture détruit la santé. Le taureau aveugle tombe