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Page:Dante - La Divine Comédie (trad. Artaud de Montor).djvu/464

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La peine que j’éprouvais de ne rien voir, et mon amour, me déterminèrent à tourner mes regards vers Béatrix. Je réunirais ici dans une seule louange toutes les admirations que j’ai prodiguées à cette femme divine, qu’elles ne suffiraient pas pour la célébrer. Sa beauté surpassait celle de tout objet créé, et son créateur seul peut, je crois, la contempler tout entière. Je me confesse vaincu, comme aucun auteur comique ou tragique n’a pu être vaincu par son sujet. De même que l’œil qui peut le moins regarder le soleil cherche, en se fermant à moitié, à en diminuer l’éclat, mon esprit, incapable de se rappeler le sourire enivrant de Béatrix, essaye d’affaiblir en moi ce même souvenir.

Depuis le premier jour où je l’avais vue dans cette vie mortelle, jusqu’à ce moment, il ne m’avait pas été impossible de bien chanter ses charmes ; mais désormais il faut que mes vers se désistent devant sa beauté, et que j’imite l’artiste qui renonce à son travail, lorsqu’il l’a porté au dernier degré de perfection.

Celle dont j’abandonne l’éloge à une trompette plus harmonieuse que la mienne, parce que je dois d’ailleurs mettre fin à mon entreprise périlleuse, commença à parler ainsi avec les gestes et la voix d’un guide expérimenté : « Nous sommes montés du plus grand des corps célestes à celui qui n’est que pure lumière, lumière intellectuelle, pleine d’amour, amour du vrai bien, rempli de joie, joie qui surpasse toutes les félicités. Ici, tu trouveras les deux milices du Paradis. La dernière est déjà revêtue de la splendeur que tu verras au jour du dernier jugement. »

Un éclair subit nous empêche de distinguer les objets les plus grands ; de même une lueur éblouissante m’environna d’un tel éclat, que je ne pouvais plus rien distinguer.

Béatrix me dit : « L’amour qui satisfait ce ciel, accueille ainsi ceux qui s’y présentent, pour les disposer à concevoir la grandeur de sa gloire. »

À peine eut-elle achevé ce peu de mots, que je me sentis élevé au-dessus de mes premières facultés, et j’acquis dans les yeux une telle force, qu’ils auraient pu se défendre contre le plus vif éclat. Je vis une lumière, en forme de fleuve, qui brillait entre deux rives ornées des fleurs d’un admirable printemps. De ce fleuve sortaient des étincelles qui se mêlaient à ces fleurs, et leur donnaient le brillant de rubis entourés d’or : mais bientôt ces étincelles, comme enivrées d’une odeur céleste, se rejetaient successivement dans le gouffre merveilleux, tandis que d’autres en sortaient à leur tour.