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L’ENFER

lui-même, comme fait souvent celui que la colère enflamme. « Tu crois peut-être, lui cria le poète, que tu vois ce roi d’Athènes qui te donna la mort sur la terre. Fuis, bête ignoble : celui que je guide ne vient pas endoctriné par les conseils de ta sœur : il vient pour être témoin des souffrances que vous endurez. »

Le Minotaure s’agita, semblable au taureau dont le corps fléchit du côté où il a reçu le coup mortel, et qui chancelle sur ses pieds défaillants. Alors mon sage maître me dit précipitamment : « Cours à l’ouverture, descends pendant qu’il est en fureur. » Nous avançâmes donc à travers cet amas de rochers ruinés et de pierres que le poids de mon corps faisait glisser sous mes pieds.

Je marchais tout rêveur ; Virgile me parla ainsi :

« Tu penses peut-être à ce précipice gardé par cet animal furieux dont j’ai vaincu la colère. La dernière fois que je descendis dans cette partie basse de l’Enfer, le rocher ne s’était pas encore écroulé ; mais peu de temps avant la venue de celui qui enleva victorieusement à Dité cette glorieuse proie, si ma mémoire est fidèle, l’horrible vallée trembla dans toute sa profondeur. Je crus que l’univers venait de subir ces lois qui rappellent toutes les substances aux mêmes principes, et qui font imaginer que nous pouvons retomber dans le premier chaos : c’est alors que cet antique rocher se brisa et se renversa sur lui-même. Mais fixe les yeux sur la vallée dont nous approchons : vois cette rivière de sang dans laquelle est condamné à gémir celui qui s’est abandonné à la violence envers les autres. Ô passion aveugle ! ô colère insensée qui nous subjugues dans cette vie de si courte durée, et qui nous attire de si cruels châtiments dans la vie éternelle !… » Je distinguai alors une fosse énorme, arrondie en demi-cercle, telle que me l’avait dépeinte mon guide.

Sur le bord éteint de cette fosse, couraient des centaures armés de flèches, comme ils avaient coutume de l’être sur la terre, quand ils se livraient à l’exercice de la chasse. Ils s’arrêtèrent en nous voyant descendre : trois d’entre eux s’écartèrent de la troupe, nous menaçant de leurs arcs qu’ils avaient préparés à l’avance. Un des trois cria de loin : « À quels tourments venez-vous, vous qui descendez la côte ? dites-le, sans avancer davantage, ou je tire cet arc… Bientôt, reprit mon maître, nous ferons réponse à Chiron et non à toi, qui a toujours été, pour ton malheur, trop précipité dans tes désirs. »

En même temps, Virgile me toucha légèrement, et il ajouta : « Celui-là