Page:Dante Alighieri - La Vie nouvelle, traduction Durand Fardel.djvu/55

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C’est parce que la mort méchante a exercé
Son œuvre cruelle sur un cœur aimable
En détruisant, sauf l’honneur[1], ce qui attire aux femmes
Les louanges du monde.
Écoutez comment l’Amour lui a rendu hommage,
Car je l’ai vu sous une forme réelle[2]
Se lamenter sur cette belle image.
Et il levait à chaque instant ses yeux vers le ciel
Où était déjà logée cette âme gracieuse
Qui avait été une femme si attrayante.

Mort brutale, ennemie de la pitié[3],
Mère antique de la douleur,
Jugement dur et irrécusable,
Puisque tu as donné l’occasion à mon cœur affligé
De se livrer à ses pensées,
Ma langue se fatiguera à t’accuser ;
Et si je te refuse toute excuse,
Il faut que je dise
Tes méfaits et tes crimes :
Non que le monde les ignore,
Mais pour soulever l’indignation
De quiconque se nourrit d’amour.
Tu as séparé du monde la beauté,
Et ce qui a le plus de prix chez une femme, la vertu.

  1. C’est-à-dire que la mort peut dépouiller une femme de tout ce qui charmait dans sa personne, mais non l’honneur qui la distinguait.
  2. L’Amour représente ici Béatrice, qui était elle-même présente à cette scène douloureuse.
  3. Morte villana, di pietà nemica