Page:Dante Alighieri - La Vie nouvelle, traduction Durand Fardel.djvu/88

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santé est parfaite, je me mis à pleurer en dedans de moi-même sur tant de misère, et, dans mes soupirs, je me disais : « il faudra que cette divine Béatrice meure un jour ! » Et je tombai alors dans un égarement tel que je fermai les yeux et commençai à m’agiter comme un frénétique, puis à divaguer.

Alors m’apparurent certains visages de femmes échevelées qui me disaient : « tu mourras aussi ». Et après ces femmes vinrent d’autres visages étranges et horribles à voir qui me disaient : « tu es mort ». Et mon imagination continuant à s’égarer, j’en vins à ce point que je ne savais plus où j’étais. Je croyais toujours voir des femmes échevelées, extrêmement tristes, et qui pleuraient. Et il me sembla que le soleil s’obscurcissait tellement que les étoiles se montraient d’une couleur qui me faisait juger qu’elles pleuraient. Et je croyais voir les oiseaux qui volaient dans l’air tomber morts, et qu’il y avait de grands tremblemens de terre[1]. Et au milieu de

  1. ......O heavy hour !
    Methink it should be now a huge éclipse
    O sun and moon, and that th’affrighted globe
    Should yawn in alteration

    (Shakspeare, Otello, act. V.)