Page:Dante Alighieri - La Vie nouvelle, traduction Durand Fardel.djvu/89

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ma surprise et de mon effroi, je m’imaginai qu’un de mes amis venait me dire : « tu ne sais pas ? Ton admirable Dame n’est plus de ce monde ».

Alors, je me mis à pleurer à chaudes larmes. Et ce n’est pas seulement dans mon imagination que je pleurais, je versais de vraies larmes. En ce moment, je regardai le ciel, et je crus voir une multitude d’anges qui remontaient en suivant un petit nuage très blanc. Et ils chantaient d’un air de triomphe hosanna in excelsis, sans que j’entendisse autre chose[1].

Il me sembla alors que mon cœur, qui était tout amour, me disait : il est vrai que notre Dame est étendue sans vie ; et je crus aller voir ce corps qui avait logé cette âme bienheureuse et si pure. Et cette imagination fut si forte qu’elle me montra effectivement cette femme morte, et des femmes qui lui couvraient la tête d’un voile blanc. Et son visage avait une telle apparence de repos qu’il semblait dire : « Voici que je vois le commencement de la paix. » Et je sentais tant de douceur à la regarder que j’appelais la mort, et je disais : Ô douce mort, viens à moi, ne me repousse pas.

  1. Ce petit nuage très blanc était l’âme de Béatrice.